DOSSIER – Centre de stockage Cigéo : l’expertise d’un projet hors normes

L’IRSN expertise la demande d’autorisation de création du centre de stockage Cigéo, qui accueillera dans plusieurs décennies, s’il est autorisé, les déchets radioactifs de haute activité et moyenne activité à vie longue. Un volumineux dossier pour un chantier inédit, par son ampleur et sa durée, dont l’institut prépare l’évaluation depuis plusieurs années.

L’IRSN acquiert les connaissances utiles à son expertise de Cigéo en menant ses propres recherches. Comme ici, au laboratoire de Fontenay-aux-Roses, où des colis factices de béton sont fissurés par un vérin hydraulique. - © Sandrine EXPILLY / SIGNATURES / Médiathèque IRSN

Le 16 janvier 2023, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) a déposé sa demande d’autorisation de création de Cigéo, le centre de stockage géologique des déchets radioactifs, qui doit être construit à proximité de Bure, entre Meuse et Haute-Marne. Si cette demande est validée, il abritera les déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue. Des substances qui resteront dangereuses pendant plusieurs dizaines, voire centaines, de milliers d’années, et qui représentent plus de 99 % de la radioactivité totale des déchets français.
Le dossier est épais d’environ 10 000 pages. Il fait suite au dossier d’options de sûreté, expertisé par l’IRSN en 2017, pour stabiliser les grands principes autour desquels l’Andra compte démontrer que Cigéo présente toutes les garanties de sûreté attendues. Une démonstration que l’IRSN étudie aujourd’hui à la loupe, pour fournir ses conclusions à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). S’il est autorisé, le démarrage du chantier pourrait intervenir vers 2027. L’autorisation d’y stocker des premiers déchets radioactifs viendra plus tard, à l’issue d’une première phase pilote. Et ceux de haute activité thermique n’y seraient pas enfouis, pour l’essentiel, avant 2070.

Une expertise inédite

L’expertise menée par l’IRSN est inédite. Peu de systèmes équivalents existent – ou sont en projet – dans le monde, et aucun n’a encore été construit dans une roche argileuse. Le chantier devrait prendre des décennies, pour creuser les galeries et concevoir les alvéoles nécessaires au stockage, à 500 mètres de profondeur, au milieu d’une couche argileuse d’environ 130 mètres d’épaisseur. C’est elle qui, après une phase d’exploitation envisagée de l’ordre de cent cinquante ans, lorsque le stockage sera scellé, empêchera les éléments radioactifs de remonter en surface. Et ce pendant plusieurs centaines de milliers d’années, jusqu’à ce qu’ils ne présentent plus de danger ni pour les humains ni pour l’environnement. Comment l’Institut s’est-il préparé à cette expertise hors normes ? Tour d’horizon des grandes questions qui focalisent son attention.


ÉDITO - Une originalité qui exige d’innover

© Florence Brochoire/Signatures/Médiathèque IRSN

Originale, la demande d’autorisation de création de Cigéo l’est à plus d’un titre. D’abord par l’échelle de temps : la durée d’exploitation du site pourrait être le double de celle des installations nucléaires existantes. Quant à l’après-fermeture, elle s’étirera bien au-delà d’un horizon humain. L’échelle d’espace est tout aussi inédite, avec près de 300 kilomètres de galeries et une emprise au sol d’environ 15 kilomètres carrés. Que l’essentiel soit sous terre est un autre défi pour nos experts et chercheurs, dont je salue le professionnalisme et l’engagement. Sur un projet aussi novateur, il était vital de développer nos propres capacités de recherche sur des enjeux clés de sûreté, pour expertiser en toute indépendance les travaux sur lesquels l’exploitant appuie sa démonstration de sûreté. Nous ne pouvons en effet nous appuyer sur aucun retour d’expérience direct. Nous bénéficions en revanche du regard croisé de nos homologues étrangers, auxquels l’IRSN apporte un atout maître : son laboratoire souterrain de Tournemire.
Et parce que Cigéo soulève des questions nouvelles, nous avons voulu donner une plus large place à la société civile, organiser des échanges au plus proche des préoccupations techniques et sociétales. Un dialogue s’est coconstruit, et c’est une autre originalité de Cigéo que de le susciter.

Delphine Pellegrini,
adjointe au directeur du pôle Santé-environnement, direction Environnement.


Comment surveiller la surveillance ?

Une fois les colis radioactifs déposés sur le futur site de stockage Cigéo, l’exploitant devra les surveiller et intervenir si nécessaire. Sur quels principes et avec quelles technologies organiser cette surveillance ? Avec des programmes de recherche comme Pallas, l’IRSN muscle ses connaissances pour accroître ses capacités d’expertise.

REPORTAGE – Fissurer des colis pour apprendre à les contrôler

Peut-on détecter, à distance, les toutes premières fissurations d’un colis de béton ? Des expériences menées dans le cadre du projet Pallas apportent à l’IRSN les compétences sur lesquelles s’appuiera sa future expertise.

S’inscrire dans un temps très long

Pour expertiser la sûreté de Cigéo, l’IRSN doit pouvoir se projeter bien au-delà des quelques décennies de construction et d’exploitation d’une installation nucléaire classique. Le temps se compte désormais en siècles, voire en centaines de milliers d’années. Comment adapter l’expertise à ce changement vertigineux d’échelle ? La mission est complexe mais loin d’être impossible.

Une expertise à géométrie variable

La politique énergétique française peut fortement évoluer au cours des prochaines décennies, modifiant de façon significative l’inventaire des déchets qui pourraient être stockés dans Cigéo. Aussi, l’IRSN doit pouvoir intégrer divers scénarios dans son expertise et évaluer ainsi la sûreté à long terme. Pour ce faire, l’IRSN s’appuie sur son logiciel Melodie qui permet de modéliser la migration des radioéléments.

Un chantier d’interactions humaines

Un gros chantier comme Cigéo fait travailler dans un même lieu une multitude d’acteurs et d’entreprises différents. Une « coactivité » susceptible d’avoir un impact fort sur la sûreté. Comment la gérer au mieux dans ce projet hors normes ? L’étude Cosea (Coactivité et sûreté en acte) livre des premiers éléments de réponse, utiles pour faire émerger une culture commune de sûreté.

Centre de stockage des déchets radioactifs : quels risques pour les riverains ?

La construction puis l’exploitation d’un grand site industriel comme Cigéo ont-elles un impact quelconque sur la santé et le bien-être des populations alentour ? C’est la question inédite à laquelle va s’efforcer de répondre l’observatoire Osarib.


Pour en savoir plus

Le dossier complet de la demande d’autorisation de création (DAC), déposé par l’Andra, est disponible ici :
https://www.andra.fr/cigeo/les-documents-de-reference

Savoir et comprendre les déchets radioactifs :
https://www.irsn.fr/savoir-comprendre/surete/videos-ce-quil-faut-savoir…

La gestion des déchets radioactifs, livret thématique de l’IRSN :
https://www.irsn.fr/sites/default/files/2023-03/irsn_livret_dechets_rad…


Chiffres clés

  • 3 ans

    c’est le délai d’instruction total prévu pour que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) rende son avis sur la demande d’autorisation de création de Cigéo, sur la base de l’expertise fournie dans un délai de trente mois par l’IRSN.

  • En 2035-2040

    si l’autorisation de création est donnée, après dix à quinze ans de travaux, le site devrait être mis en service, et recevoir des premiers colis de déchets radioactifs.

  • En 2045-2050

    Cigéo passerait en phase d’exploitation courante, et les déchets les plus radioactifs et dégageant le plus de chaleur y seraient stockés à partir de 2070.

Dossier publié en juillet 2024