Comment surveiller la surveillance ?

Une fois les colis radioactifs déposés sur le futur site de stockage Cigéo, l’exploitant devra les surveiller et intervenir si nécessaire. Sur quels principes et avec quelles technologies organiser cette surveillance ? Avec des programmes de recherche comme Pallas, l’IRSN muscle ses connaissances pour accroître ses capacités d’expertise.

La couche d’argile dans laquelle seront enfouis les déchets hautement radioactifs ralentira-t-elle en toute sûreté la migration des radionucléides ? L’Andra s’en assure dans son laboratoire souterrain de Bure (Meuse – Haute Marne). - © Matthieu Colin/Divergence

Comment les colis de déchets, hautement et moyennement radioactifs, vont-ils se comporter dans le futur site de stockage géologique Cigéo ? Difficile de le dire avec certitude. D’où l’importance de les surveiller attentivement durant toute la phase d’exploitation du site, qui devrait durer environ cent cinquante ans, avant que les puits ne soient scellés et les installations en surface démantelées. « Il faudra fermer le site en étant certains que nous le laissons dans des conditions qui garantissent sa sûreté à très long terme », rappelle Camille Espivent, ingénieure en sûreté nucléaire.
La loi le stipule explicitement : durant la phase d’exploitation, le stockage doit rester réversible. Si des colis posent problème, l’Andra, qui exploite le site, doit pouvoir les détecter et, si nécessaire, les récupérer. « Nous devons vérifier qu’il sera possible de surveiller à la fois les colis et tous les composants qui contribuent à une fonction de sûreté : génie civil, équipements de manutention, d’extinction d’incendie, etc. », souligne l’ingénieure. Comment ? L’IRSN s’appuie sur des principes établis par le programme Cimon (Cigéo MONitoring), interne à l’institut et qui se termine en 2024. Son objectif est de dresser l’état de l’art en matière d’exigence de surveillance. Mais il faut aller plus loin pour développer une capacité d’expertise.

Surveiller tous les colis ?

Faut-il surveiller chaque colis ? Chacun d’eux sera contrôlé lors de sa réception sur le site. Mais il n’est pas prévu qu’il soit équipé de capteur individuel. La surveillance restera globale. « Notre travail d’instruction est de déterminer les limites de cette stratégie. Il n’est pas utile de tout savoir, mais, sur dix colis, même si neuf peuvent très bien se comporter il ne faudrait pas que le dixième évolue de façon anormale », observe l’experte.
Pour les colis de haute activité, la stratégie retenue par l’Andra est de surveiller des alvéoles témoins, selon des techniques qui restent à préciser. L’IRSN en étudie certaines dans son propre laboratoire souterrain, installé dans l’ancien tunnel ferroviaire de Tournemire, dans l’Aveyron, et creusé dans une formation argileuse similaire à celle où sera construit Cigéo. L’Institut y teste des connaissances et méthodes nécessaires à son expertise. Les procédés de surveillance en font partie. « Sur la détection des fissures par fibre optique, nous observons par exemple que la façon dont la fibre est mise en place est importante », précise Camille Espivent.
Le programme Pallas1, amorcé en 2022, développe des techniques de détection des premières microdéformations d’un colis en béton. Des expériences sont menées en 2022 et 2023, au siège de l’IRSN, à Fontenay-aux-Roses (voir reportage), sur des mini-colis traversés par de la fibre optique, et sur lesquels sont posées des jauges de déformation. « Nous les endommageons volontairement, et nous regardons quels niveaux d’altération les capteurs sont capables de détecter », détaille Julie Pouya, docteure en chimie des matériaux cimentaires. Le défi est de révéler des microfissurations encore invisibles à l’œil nu.

1. Plateforme pluridisciplinaire de surveillance dans le cadre d’alternatives au stockage géologique profond.

De son côté, l’IRSN dispose du laboratoire souterrain de Tournemire (Aveyron). Il y étudie différents procédés de surveillance d’une alvéole de stockage, comme ici lors de l’expérience ERT (Electric Resistivity Tomography). - © Philippe Dureuil/Médiathèque IRSN
Avant d’être stockés à Cigéo, les produits de fission non valorisables, de haute activité, seront vitrifiés puis enfermés dans des conteneurs standards en acier inoxydable tels que celui-ci. - © Orano, Cyril Crespeau

Expériences souterraines

Le stade d’après, en 2024, est de détecter ces microfissures sur des colis factices de taille réelle (1 mètre de hauteur et 60 centimètres de diamètre) dans un laboratoire nouvellement construit en surface à Tournemire. Puis de placer les capteurs non plus sur le colis, mais dans la roche argileuse qui l’accueillera. « En fonction du signal électrique reçu, nous cherchons à connaître les changements minéralogiques ou de teneur en eau qui ont lieu dans le colis, et à les relier au degré de fissuration », poursuit-elle.
Une nouvelle galerie de 120 mètres, creusée dans l’argile du tunnel de Tournemire, conduira en 2025 à trois alvéoles dans lesquelles seront disposés les objets en béton, pour réaliser l’expérience dans des conditions in situ. En parallèle, des jumeaux numériques modéliseront en 3D l’évolution de ces colis en intégrant les données acquises en continu par les capteurs. « Le projet avance étape par étape, s’enthousiasme-t-elle, chacune validant la suivante. » Et consolide un savoir-faire qui nourrit l’expertise.

Le creusement dans l’argile d’une nouvelle galerie de 120 mètres, à Tournemire, permettra de suivre le comportement de colis factices dans des conditions géologiques très proches de celles du futur site de stockage à Bure. - © IRSN

En chiffres

  • 2025

    à cette date les essais pourront démarrer in situ de mesure de microfissuration de colis factices dans la roche argileuse du laboratoire souterrain IRSN de Tournemire.

Pour en savoir plus

Présentation du laboratoire souterrain de Tournemire : https://www.irsn.fr/recherche/station-experimentale-tournemire



Article publié en juillet 2024