Risque radon : un accompagnement des professionnels dans la mesure

Depuis 2018, la prévention du risque radon dans les lieux de travail est renforcée. Les obligations réglementaires créent de nouveaux enjeux : informer les employeurs, les accompagner vers une évaluation du risque radon, mais aussi réaliser des études afin d’améliorer les connaissances sur l’exposition des travailleurs. 

Mesure radon dans une cave
Dans la cave du Domaine Fouet, Caroline Vignaud, ingénieure chercheur au Bureau d’étude et d’expertise du radon (BERAD) de l’IRSN, manipule un moniteur radon de type Alphaguard. L’appareil permet de mesurer en continu la concentration de radon dans l’air - © Philippe Dureuil/Médiathèque IRSN

« Désormais, tous les professionnels sont concernés. » En quelques mots, Laurent Destacamp, spécialiste en radioactivité environnementale à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine), résume le changement de philosophie accompagnant les récentes évolutions réglementaires sur le radon. Depuis 20181, celui-ci est intégré à la démarche de prévention des risques professionnels. Le champ d’application est élargi : avant cette date, seules certaines activités professionnelles étaient concernées, surtout celles exercées dans des lieux souterrains, comme les grottes, les tunnels, etc. Désormais, toutes les entreprises ayant des locaux en rez-de-chaussée ou en sous-sol doivent aussi s’y intéresser : agences immobilières, boulangeries, etc.1, 2. « Comme pour l’amiante, le plomb, le risque électrique, l’employeur doit réfléchir au radon pour la santé de ses travailleurs », souligne l’expert. 
Dans ce dossier, Repères fait le point sur la prévention dans et en dehors du monde du travail, ainsi que sur l’avancée des connaissances sur le risque radon. 

INFOGRAPHIE - Variation de la concentration du radon selon les lieux

Le radon, gaz radioactif d'origine naturelle, est omniprésent dans notre environnement mais ses concentrations varient selon les lieux. Quels sont les ordres de grandeurs possibles? Où se concentre-t-il préférentiellement? Quelques valeurs utiles pour la radioprotection.

La concentration en radon varie selon les lieux

300 Bq/m3

Pourquoi cette attention renforcée pour ce gaz radioactif naturel3 ? Classé cancérigène pulmonaire certain pour l’homme depuis 19874, il représente le second facteur de risque de cancer du poumon après le tabagisme, ces deux facteurs ayant un effet synergique. « Un fumeur a un risque plus élevé qu’un non-fumeur à exposition équivalente au radon », résume la spécialiste radon Géraldine Ielsch. D’après une évaluation quantitative de l’impact sanitaire de l’exposition domestique au radon en France, publiée en 2018 par l’IRSN et Santé publique France, 3 000 décès par cancer du poumon par an, en moyenne, lui seraient attribuables en France, soit environ 10 % des décès pour ce type de cancer. « Les enjeux sanitaires sont importants, observe Laurent Destacamp. Il faut savoir si les travailleurs sont exposés. » 
En se fondant sur les recommandations de la directive européenne de 20135 – elles-mêmes basées sur celles de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) –, la réglementation française retient un niveau de référence6 de 300 Bq/m3 en concentration moyenne annuelle dans le lieu de travail. Au-delà, des actions correctives doivent être mises en œuvre.  
Mais si les grandes sociétés ont des compétences en radioprotection ou prévention du risque, les petites entreprises sont plus démunies et surtout moins informées. Pour les accompagner, la direction générale du travail (DGT) propose un guide pratique7 expliquant pas à pas la démarche. Il est réalisé notamment avec l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l’IRSN. 

Quel risque dans mon lieu de travail ?

Quelle démarche suivre ? Dans un premier temps, l’employeur doit s’informer et s’interroger sur l’exposition des travailleurs dans ses locaux. Le lieu de travail est-il concerné ? Ses caractéristiques favorisent-elles l’exposition ? Un local confiné est, par exemple, plus susceptible d’être pénalisant qu’un lieu ventilé. « Un travailleur exerçant dans une pièce peu ventilée où l’air intérieur n’est pas suffisamment renouvelé doit se demander s’il est exposé à des niveaux de radon supérieurs au niveau de référence, illustre Laurent Destacamp. L’évaluation du risque est obligatoire pour tous ceux qui exercent des activités professionnelles en rez-de-chaussée, sous-sol et dans des lieux dits spécifiques 2 : lieux souterrains – tels que galeries, grottes, etc. –, stations thermales... » 
L’employeur peut consulter la cartographie interactive du potentiel radon8 dressée par l’IRSN, afin de connaître le classement de sa commune – catégorie 1, 2 ou 3 – fondé sur la géologie (lire "Radon et Établissements recevant du public : un risque peu connu du public").
Cette évaluation figure dans le Document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP)9, obligatoire dans toutes les entreprises dès l’embauche du premier salarié et consultable par tous.  
Le risque est identifié ? Un doute persiste ? Le guide préconise de procéder à des mesures. Il indique quels détecteurs acheter, comment et où les poser, quels laboratoires sont accrédités pour les fournir et les analyser. 
La mesure est passive et se fait a posteriori selon un protocole normé. Après un minimum de deux mois de pose en période hivernale – dont la moitié au moins en période de chauffe des bâtiments –, les appareils sont renvoyés au laboratoire accrédité qui fournit des résultats d’activité volumique de radon en Bq/m3 dans un procès-verbal d’analyse. Ces résultats sont à comparer au niveau de référence de 300 Bq/m3

Carte potentiel radon Saint Nazaire

Un accompagnement nécessaire

Mesure les descendants du radon dans l’atmosphère
Dans la Haute-Vienne, l’IRSN mesure les descendants du radon dans l’atmosphère et analyse les résultats - © Noak/Le bar Floréal/IRSN

L’IRSN vient en appui : « Des préventeurs de risque, des conseillers en radioprotection, des employeurs, des entreprises… nous contactent via le site irsn.fr, expose Laurent Destacamp. Ils souhaitent des précisions et des compléments d’information sur la démarche à mettre en œuvre. » Beaucoup de questions sont liées à la mise en application de la réglementation en fonction des spécificités du lieu de travail. Par exemple : « Mon entreprise dispose de nombreux bâtiments, quels sont les locaux ou postes de travail à prioriser dans mon évaluation du risque ? » 
Depuis la publication du décret de 2018, les sollicitations affluent. L’Institut a mis une « foire aux questions » sur son site internet. « Nous avons archivé toutes ces demandes et rédigé des réponses les plus complètes possible pour les questions principales et récurrentes. » Rappel réglementaire, protocole de mesurage, éléments généraux sur le radon, liste des organismes compétents… « Notre rôle est d’accompagner en explicitant la démarche d’évaluation du risque », observe Géraldine Ielsch. 
Si la mesure dépasse les 300 Bq/m3 en moyenne annuelle, la réglementation requiert la mise en œuvre des actions de réduction de l’exposition. Dans la majorité des cas, des interventions simples suffisent : installer une ventilation pour diluer le radon, étanchéifier la dalle et les passages de canalisations pour limiter l’entrée du gaz dans le bâtiment… 
Au-delà de 1 000 Bq/m3, cela ne suffit généralement pas. Il faut analyser le bâtiment plus précisément. « Il est parfois nécessaire de se déplacer avec du matériel de mesure plus spécifique pour rechercher les sources, ainsi que les voies d’entrée et de transfert du radon dans le bâtiment », expose Laurent Destacamp. En complément d’une expertise du bâtiment par un professionnel10 – comme le CSTB10 ou le Cerema10 –, ces mesures permettent de définir des travaux plus conséquents. Il peut s’agir par exemple de redimensionner le système de ventilation, de mettre en place un dispositif de dépressurisation des sols, etc.

Former des PCR

Si malgré les actions de réduction, la concentration en radon reste supérieure à 300 Bq/m3, l’employeur doit évaluer si une « zone radon » est à définir. Le cas échéant, un dispositif renforcé de radioprotection est mis en place avec l’aide d’un conseiller en radioprotection (ou personne compétente en radioprotection, PCR). 
La réglementation exige un calcul de dose efficace prévisionnelle pour le travailleur (voir infographie "Concentration radon selon les lieux"). « Elle est liée au temps passé et à la concentration en radon dans les locaux concernés. Si cette dose efficace dépasse 6 mSv par an, l’employeur doit mettre en place un dispositif plus contraignant de radioprotection des travailleurs », résume Géraldine Ielsch. Il doit identifier la zone par une signalétique, informer ses employés et organiser un suivi personnalisé de la dose pour chacun d’eux – avec un dosimètre individuel –, en lien avec le médecin du travail et le conseiller en radioprotection.   
Les exigences de la nouvelle réglementation créent un besoin de formation. L’IRSN y répond avec des sessions adaptées. « Pour les PCR en renouvellement [niveau 2], une présentation synthétique11 explique la démarche d’évaluation du risque radon et les textes réglementaires », explique Laurent Destacamp. Une PCR de niveau 2 – industriel ou médical – peut aussi suivre la formation de niveau 1, plus complète12

Cavités agricoles et grottes touristiques

Mesure radon dans une cave
Dans la cave du Domaine Fouet, Caroline Vignaud, ingénieure chercheur au Bureau d’étude et d’expertise du radon (BERAD) de l’IRSN, manipule un moniteur radon de type Alphaguard. L’appareil permet de mesurer en continu la concentration de radon dans l’air - © Philippe Dureuil/Médiathèque IRSN

« Les administrations font appel à nous pour améliorer la connaissance de l’exposition des travailleurs dans des lieux particuliers », indique Géraldine Ielsch. Caves à vin, à fromage, champignonnières… l’IRSN mène des campagnes de mesure. L’une d’elles concerne les cavités agricoles enterrées (lire REPORTAGE - Traque du radon dans une cavité viticole). « À la demande de la DGT et du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, nous réalisons des mesures de la concentration en radon dans un échantillon d’une quarantaine de cavités dans différentes régions en France. » 
Une autre étude investigue l’exposition à ce gaz dans les grottes touristiques. Sur saisine de la DGT, l’IRSN étudie et caractérise les paramètres environnementaux qui influencent la valeur du coefficient de dose dans ces lieux souterrains. Ce coefficient sert à calculer la dose efficace, un préalable indispensable à l’évaluation du risque pour les travailleurs. « Ces lieux peuvent avoir peu d’échange avec l’air extérieur et le radon s’y accumule jusqu’à des concentrations parfois élevées. En fonction du temps de présence des travailleurs, l’exposition peut être importante », remarque Géraldine Ielsch. 
Ces recherches exigeantes durent plusieurs années. « Il faut élaborer un protocole expérimental, réaliser des mesures sur le terrain, les répéter à différentes saisons, les interpréter… en somme, acquérir beaucoup de données, dont la variabilité peut être très importante d’un lieu à l’autre, en fonction des conditions environnementales. »  
En 2021, l’Institut répond à une demande d’EDF Hydro. L’entreprise souhaite être accompagnée pour mettre en place la prévention du risque radon pour le personnel intervenant dans des galeries de barrages hydroélectriques. Celles-ci sont périodiquement dénoyées pour maintenance. Quelle est l’exposition des travailleurs ? « Un protocole de mesurage spécifique a été mis en œuvre et adapté aux lieux et situations de travail. L’IRSN apporte son expertise en métrologie et en radioprotection, décrit Géraldine Ielsch. Cela nous intéresse, car nous n’avons pas beaucoup de retours d’expérience sur ce type de lieu et les situations de travail très particulières associées. » 

Des données capitalisées et centralisées

Dans un objectif de prévention en milieu professionnel – à la demande des pouvoirs publics –, l’IRSN recueille et centralise depuis 2022 toutes les mesures de la concentration en radon réalisées dans les lieux de travail. Les laboratoires accrédités, qui fournissent les détecteurs et les analysent, ont l’obligation de transmettre leurs résultats à l’Institut. « Nous les recueillons dans une base de données interne : le système d’information radon13, décrit Géraldine Ielsch. Ces résultats sont ensuite synthétisés et transmis aux pouvoirs publics. »  

 

1. Décret n° 2018-437 du 4 juin 2018 relatif à la protection des travailleurs contre les risques dus aux rayonnements ionisants

2. L’arrêté du 30 juin 2021 définit une liste de lieux de travail spécifiques nécessitant une évaluation du risque radon impliquant des dispositions particulières : cavités souterraines naturelles ou artificielles, barrages, tunnels, parkings souterrains, stations thermales, etc

3. Il a pour origine l’uranium contenu dans la croûte terrestre en quantité variable suivant le type de roches

4. Par le Centre international de recherche sur le cancer de l’Organisation mondiale de la santé

5. Directive 2013/59/Euratom. 

6. Activité volumique moyenne annuelle (en Bq/m3). 

7. Radon - ministère du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion

8. Carte-radon 

9. https://entreprendre.service-public.fr/vosdroits/F35360 

10. Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) et Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB)

11. Bureau d’étude et d’expertise du radon

12. La formation IRSN « PCR niveau 1 » est en cours d’accréditation

13. Ce système recueille également les mesures réalisées dans l’habitat et dans les ERP (établissements recevant du public). 

Les coeff de dose interne : Légifrance - Publications officielles - Journal officiel - JORF n° 0273 du 25/11/2023 (legifrance.gouv.fr) 


En chiffre

  • 10 %

    des cas de cancer du poumon sont dus au radon, soit environ
    3 000 décès chaque année en France

  • 300 Bq/m3

    Niveau de référence de la concentration en radon dans l’air intérieur, en valeur moyenne annuelle, dans la réglementation française

  • 10

    principales questions qui intéressent les publics au sujet du risque radon ont été répertoriées par l’Institut. Les réponses sont disponibles sur irsn.fr 


Révision du coefficient de dose pour le radon : un coefficient doublé depuis 2018

Le coefficient de dose due au radon est désormais de 3 Sv/J.h.m-3 pour tous les lieux de travail, et de 6 Sv/J.h.m-3 si l’activité physique du travailleur est considérée comme non sédentaire. C’est ce qui ressort de la mise à jour des valeurs à appliquer décidée par la réglementation française et publiée dans l’arrêté du 16 novembre 2023 définissant les modalités de calcul des doses efficaces et des doses équivalentes résultant de l’exposition des personnes aux rayonnements ionisants.

Pourquoi cette décision ? Ce coefficient établit une correspondance entre le niveau d’exposition et la dose efficace (voir infographie "Passer de la radioactivité inhalée à la dose efficace grâce à des modèle"). « Le risque dû aux radiations varie selon les radionucléides, car ils ne touchent pas les mêmes organes et n’émettent pas les mêmes types de rayonnements ionisants », précise Enora Cléro, épidémiologiste à l’IRSN. Ses travaux explorent les liens de causalité entre l’exposition au radon et l’apparition de cancers. 
Emetteur de particules alpha, le radon est un cancérigène certain pour le poumon lorsqu’il est inhalé. Pour établir le coefficient de dose, la CIPR se basait en 1993 sur une comparaison du détriment radiologique par sievert avec le risque de cancer par exposition au radon estimée sur des mesures d’ambiance réalisées dans des mines d’uranium. Leur fiabilité était limitée, comparée à celle de mesures individuelles. Une réévaluation de 2010 à 2017 s’appuie sur des études épidémiologiques réalisées chez des mineurs ayant eu un suivi dosimétrique individuel, ainsi que sur des études de l’exposition domestique en population générale. 

Pour en savoir plus

Radon : note explicative de l’IRSN sur les nouveaux coefficients de dose 

Les coefficients de dose interne : Légifrance - Publications officielles - Journal officiel - JORF n° 0273 du 25/11/2023 (legifrance.gouv.fr) 


Exposition du travailleur : garantir des mesures fiables

Le mesurage dans les lieux de travail est réalisé par la pose d’un dispositif de mesure intégrée. « Il s’agit d’un détecteur passif, une petite capsule placée pendant au moins deux mois sur site puis analysée par un laboratoire accrédité », précise Caroline Vignaud, experte en mesure à l’IRSN. Seule cette mesure intégrée permet de comparer le résultat obtenu avec le niveau de référence de 300 Bq/m3. « En cas de dépassement, l’employeur doit entreprendre des actions visant à réduire la concentration de radon ». 
Depuis 2018, la réglementation a évolué. Dans le Code de la santé publique, il est stipulé que l’IRSN doit organiser des intercomparaisons pour garantir la fiabilité de ces mesures intégrées. L’Institut en organise une en 2020 et 2023. Afin de vérifier le niveau de justesse et de précision des détecteurs passifs de différentes marques, ceux-ci sont placés dans un caisson étanche contenant une concentration connue en radon.  
Les fabricants des dispositifs ont l’obligation de participer à ces intercomparaisons au moins une fois tous les trois ans. Les résultats sont transmis à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui décide des suites à donner en cas de résultats non satisfaisants.  
Pour améliorer la radioprotection des travailleurs, l’IRSN participe à l’élaboration et à la révision régulière des normes définissant les bonnes pratiques de mesure.


INFOGRAPHIE - Passer de la radioactivité inhalée à la dose efficace grâce à des modèles

Passer de la mesure du radon dans l'air à l'impact du rayonnement sur l'organisme - donc du becquerel au sievert - requiert plusieurs étapes. Les experts utilisent des modèles pour calculer des coefficients de proportionnalité entre les deux grandeurs.


VIDEO : le radon en milieu professionnel



Article publié en janvier 2024