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c’est la durée pendant laquelle il est possible d’être protégé par la prise régulière d’iode stable.
Depuis les accidents de Tchernobyl et Fukushima, des recherches sont menées pour préciser les risques de contamination par l’iode radioactif. En cas de crise, des niveaux de référence guident l’action des autorités. Grâce à la prise répétée d’iode stable, celles-ci devraient bientôt disposer de nouveaux moyens de protection.
En 1989, trois ans après l’accident de Tchernobyl, des médecins ukrainiens, russes et biélorusses donnent l’alerte. La fréquence des cancers de la thyroïde augmenterait chez les enfants exposés au nuage radioactif. Dans la communauté scientifique, c’est d’abord la surprise. L’explosion du réacteur n°4 a libéré dans l’atmosphère une grande quantité d’iode radioactif (cf. dossier du Repères n° 43). Ses effets cancérigènes sur la thyroïde – à la suite de son utilisation en médecine et du bombardement d’Hiroshima – sont déjà connus. Mais deux idées admises sont remises en question : ils mettent au moins dix ans à se manifester, et aucune population n’est plus touchée qu’une autre. En 1992, l’augmentation de la fréquence des cancers de la thyroïde peut être corrélée avec les mesures de contamination au sol. Dans certaines zones, la hausse atteint un facteur 100 par rapport au taux de survenue normal. Plus les enfants sont jeunes, plus ils sont touchés. La stratégie de protection des populations doit être revue.
« Pour la caractérisation du risque, il y a un avant et un après Tchernobyl, résume Dominique Laurier, chercheur sur les effets des faibles doses à l’IRSN. Jamais nous n’avions disposé d’autant d’informations. Encore fallait-il les collecter, les conserver et les valoriser, alors que l’Union soviétique était en train de s’effondrer. » Première urgence : maintenir les registres de cancers tenus par les médecins dans les secteurs contaminés. Ils montrent que la fréquence des cancers de la thyroïde redevient normale chez les enfants nés après la catastrophe. Le risque est donc bien uniquement lié à l’exposition à l’iode radioactif, et apparaît essentiellement chez ceux qui étaient enfants lors de l’accident. La documentation de la catastrophe constitue l’une des missions du Laboratoire d’épidémiologie de l’IRSN. Plus de trente ans après, il continue à enregistrer des cancers de la thyroïde en surnombre dans les populations exposées. À partir de 2011, l’accident de Fukushima confirme ces enseignements. Mais les données relatives aux moins de 18 ans sont complexes à exploiter. Depuis la catastrophe, une détection systématique par ultrasons des nodules thyroïdiens est réalisée pour 300 000 d’entre eux. Les expositions au Japon sont bien inférieures à celles de Tchernobyl, et pourtant la proportion de dépistages positifs est bien supérieure. « Il y a un surdiagnostic. Il s’explique par la finesse de la technique, qui détecte des nodules de quelques millimètres, explique Dominique Laurier. Plusieurs contre-études sur des populations non exposées montrent que nous sommes nombreux à porter ce type de nodules sans développer de cancer. » C’est pourquoi l’IRSN s’investit dans la réflexion du Centre international de recherche sur le cancer (Circ) sur l’utilisation de cette technique de détection par ultrasons. Son rapport paru en 2018 recommande de ne l’employer qu’au cas par cas.
L’absence de registres de cancers dans la préfecture de Fukushima explique le choix de ce dépistage systématique sans base de comparaison. En grossissant les chiffres, il a heurté la confiance de la population dans les messages rassurants des autorités. Mesurer la corrélation entre l’exposition et le risque de développer un cancer est indispensable pour protéger les personnes exposées. « La première étape nécessite de convertir la quantité de radioactivité “instantanée”, mesurée en becquerels, en dose de rayonnements ionisants qui se concentrent sur la thyroïde et perturbent le bon fonctionnement des cellules, explique Éric Blanchardon, expert en dosimétrie interne à l’Institut. Nous déterminons la dose efficace, exprimée en millisieverts. »
« En crise et en exercice de crise, nous utilisons ces valeurs pour établir des cartes de prévision, explique Damien Didier, expert en évaluation des conséquences. Elles permettent d’identifier les zones où ces valeurs repères pourraient être dépassées. Le préfet peut décider, par anticipation, des actions de protection. » Les experts cherchent à enrichir ces cartes, en associant à chaque prévision de dose efficace un indice de confiance intégrant les incertitudes du scénario accidentel et des prévisions météorologiques. Ils participent au projet européen Confidence, qui traite de la problématique des incertitudes : de leur prise en compte dans les évaluations à leur communication vers les décideurs. Il s’agit d’anticiper les réactions de ces derniers. « Ils pourraient sur-réagir et se tromper de priorités. Notre objectif est de leur donner une vision plus complète sur les conséquences possibles pour décider de manière plus appropriée », poursuit-il.
En cas de crise, l’IRSN dispose de quatre véhicules légers équipés de système d’anthroporadiométrie pour mesurer la contamination interne des populations dans la zone concernée. Peuvent s’y ajouter deux véhicules lourds d’expertise et l’installation du laboratoire d’anthroporadiométrie du Vésinet (Yvelines). « Dans ces situations, il faut vite lever les craintes des personnes exposées, souligne Isabelle Vu, experte en moyens mobiles à l’Institut. Une ingénieure-chercheuse a mis au point des étalons de “taille enfant” pour nos systèmes de mesure : nous sommes aujourd’hui capables d’estimer en quelques minutes, et pour toutes les classes d’âge, une contamination interne. » Jugés trop peu sensibles, les véhicules légers sont pour l’instant réservés aux situations de crise. Un protocole de recherche débute avec l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Île-de-France) pour vérifier leur performance dans un contexte de surveillance de routine avec des radioéléments de faible énergie. Si les résultats sont positifs, les contrôles en entreprise pourront être multipliés, et avec eux les chances de détecter les contaminations occasionnelles.
Thèse sur les étalons « taille enfant » : www.irsn.fr/these-beaumont
Rapport du CIRC sur l’utilisation des nouveaux outils de dépistage du cancer de la thyroïde : http://publications.iarc.fr
L'iode radioactif est rejeté de manière contrôlée par les centrales, les industries radiopharmaceutiques et les hôpitaux en situation normale d'exploitation, sans impact sanitaire. Il est inhalé et intégré par l'homme et les animaux. En cas d'accident, lorsque les concentrations sont importantes, il se concentre dasn la thyroïde et peut augmenter le risque de cancer. Sa période radioactive est de huit jours, il disparaït en deux mois environ.
Exposée à de l'iode 131 radioactif, la thyroïde ne fait aucune différence avec l'iode 127 stable puisé dans les aliments. Une prise d'iode stable avant exposition peut empêcher la glande de fixer l'élément radioactif, réduisant le risque de cancer.
« Miodose est plus simple et intuitif à utiliser que notre outil d’investigation actuel », explique Anne-Laure Agrinier, médecin du travail au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Lors des surveillances de routine ou en cas d’incident de contamination radioactive, il est nécessaire d’obtenir une estimation précise de la dose reçue par les travailleurs exposés. Partant de ce constat, Estelle Davesne, spécialiste en dosimétrie interne à l’IRSN, a développé le logiciel Miodose en partenariat avec Orano. « Le mode de contamination, la nature des composés radioactifs auxquels la personne a été exposée ou l’effet d’un éventuel traitement chélateur1 sont mieux pris en compte par l’outil. » À la différence du logiciel utilisé jusqu’alors, Miodose est disponible en français. Cette spécificité simplifie sa prise en main par les médecins du travail. Testé depuis le début de l’année sur le site du CEA de Marcoule (Gard), le logiciel a fait la preuve de sa fiabilité en cas de contamination interne. « Il facilite la saisie des mesures directes obtenues par anthroporadiométrie2 ou dosages d’excreta, des valeurs indispensables pour déterminer la dose totale de radionucléides reçue par un travailleur », témoigne Anne-Laure Agrinier. Une fois l’ensemble des données disponibles renseignées dans le logiciel, un rapport complet peut être édité puis archivé dans le dossier médical du travailleur. « C’est un gage de traçabilité supplémentaire », conclut-elle. La commercialisation de Miodose sous licence d’autorisation devrait démarrer en septembre.
1. Traitement médical destiné à faciliter l’élimination de radionucléides de l’organisme par formation d’un complexe entre l’agent chélateur administré et le radionucléide ciblé.
2. Technique par laquelle les rayonnements ionisants émis par la thyroïde ou le corps entier sont mesurés.
c’est la durée pendant laquelle il est possible d’être protégé par la prise régulière d’iode stable.
la campagne 2019 de distribution d’iode s’adresse à des riverains et des responsables d’établissement recevant du public (ERP) résidant dans un rayon de 20 km autour des 19 centrales françaises, au lieu de 10 km en 2016.
c’est l’augmentation de la fréquence des cancers de la thyroïde consécutive à l’accident de Tchernobyl (estimation 2018). Soit 5000 cas chez les habitants des territoires contaminés. Source: Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR)
Article publié en janvier 2020