Comprimés d’iode : Des avancées en cas de rejets radioactifs prolongés

En cas de rejets d’iode radioactif à répétition, il est envisagé de protéger la population pendant sept jours grâce à des prises répétées d’iode stable. Ces résultats scientifiques donnent aux autorités une marge de manœuvre accrue en situation de crise.

Confinement d'une classe de 3e au collège Félix-Eboué lors de l'exercice national de sûreté nucléaire à la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin). - © Thierry Gachon / photoPQR / L'Alsace / MaxPPP

« Imaginez une situation de crise comparable à celle de Fukushima : pendant plusieurs jours, des rejets d’iode radioactif dans l’atmosphère se succèdent. Si la population peut être efficacement protégée d’une contamination répétée à l’iode radioactif, alors les autorités disposeront de plus de souplesse dans la gestion des évacuations, notamment pour les individus les plus sensibles. Au final, la sécurité de tous sera mieux assurée. » En quelques mots, Maâmar Souidi, chercheur en santé à l’IRSN, résume l’un des intérêts du projet Priodac1

Jusqu’à sept prises d’iode stable

Le Vidal – dictionnaire précisant en particulier la posologie des médicaments – indique que la prise d’iode stable, ou iodure de potassium (KI) pour prévenir la contamination de la thyroïde par de l’iode radioactif ne peut être répétée qu’une seule fois, offrant une durée de protection de 24 à 48 heures. Grâce aux travaux du programme Priodac, un dossier de variation de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) du KI est soumis à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). La posologie consisterait en une prise réitérée du traitement pendant sept jours, sauf instruction contraire des autorités, pour toutes les catégories de population, hormis les femmes enceintes et allaitant. Une telle modification nécessite des études réglementaires pour démontrer son efficacité et son absence de nocivité. Dans le projet Priodac, ces études portées par trois thèses sont partagées entre les partenaires du projet. Première étape, des laboratoires de l’Institut associés aux facultés de médecine de Nice et d’Aix-Marseille mènent les études précliniques pharmacologiques et toxicologiques. Nécessitant des analyses sur des rats, elles sont encadrées par deux structures (cf. encadré ci-après). Toutes les 24 heures pendant sept jours, les animaux reçoivent des quantités croissantes d’iode stable. Des études spectrométriques, d’imagerie de la thyroïde et des modélisations pharmacocinétiques servent à déterminer la dose de KI optimale pour une protection efficace de la thyroïde et l’absence d’effets secondaires. Cette protection de la glande est validée par des études utilisant des iodes radioactifs. Cette première phase achevée, la Pharmacie centrale des armées prend le relais et réalise les études de toxicologie. Il s’agit de s’assurer de l’innocuité du traitement pour deux espèces animales différentes, le rat et le chien. « Ces expériences sont conduites sur des modèles expérimentaux simulant les différentes catégories de la population en raison des restrictions d’utilisation du KI chez la femme enceinte ou allaitant, précise Marc Benderitter, responsable du projet. Les travaux de Priodac montrent une sensibilité particulière du fœtus à la prise répétée d’iodure de potassium par la mère. Après la naissance et à l’âge adulte, des troubles du comportement, notamment en termes de motricité, sont observés. » Ce travail est réalisé par une doctorante de l’Institut, Dalila Lebsir. Les études se poursuivent afin de préciser une posologie adaptée pour la femme enceinte sans risque pour le fœtus, car la phase du développement embryonnaire du cerveau semble être particulièrement sensible au KI. La prophylaxie répétée de l’iode stable sur la base de ces nouvelles connaissances est appelée à faire autorité au plan national. En septembre, les experts présentent leurs résultats à la Direction générale de la santé (DGS). « Pour les autorités, cela accroît la marge de manœuvre, note Éric Vial, chargé de mission au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. En cas de prévisions incertaines, une première prise d’iode peut être plus facilement recommandée, sachant que d’autres sont possibles si la situation le nécessite. » 

La société civile alerte les pouvoirs publics

La réflexion sur l’organisation de sa distribution ne fait que commencer. Elle tiendra compte des capacités de production de l’antidote, de son stockage et de sa distribution. La doctrine est en cours d’élaboration par la DGS et l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Cela pourrait conduire à une modification des dispositions actuellement en vigueur. La société civile pourrait y être associée. Cette réflexion viendra en complément des campagnes de distribution consécutives à l’élargissement du Plan particulier d’intervention (PPI) de dix à vingt kilomètres (cf. article ci-après). Les acteurs locaux – élus, employés des collectivités territoriales et forces de secours –, en première ligne en situation de crise, entendent participer à la discussion. « En 2016, lors de la dernière campagne de renouvellement, seules 50 % des personnes concernées sont venues retirer leur iode en pharmacie. Pourquoi en serait-il différemment cette fois-ci ? s’interroge Jean-Pierre Charre, vice-président de la commission locale d’information (CLI) de Marcoule-Gard. La question de la localisation et de la distribution des stocks complémentaires est centrale, surtout s’ils doivent augmenter dans de grandes proportions. » Pour lui, seules les mairies, par leur connaissance de leur territoire et de leurs habitants, peuvent assurer leur infomation et leur protection. Pour Jean-Claude Delalonde, président de l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (Anccli), le constat est désormais partagé : « Les résultats des campagnes de distribution sont extrêmement décevants eu égard aux moyens mis en œuvre. » Depuis plusieurs années, l’Association et les CLI alertent les pouvoirs publics sur la pertinence du mode de diffusion. « Il nous paraît inadapté à la réalité des territoires. J’ai proposé à tous les partenaires de réfléchir à une refonte totale du système, à des modes de distribution plus appropriés qui tiennent compte de la spécificité et des besoins de chaque territoire », précise le président de l’Anccli.

1.Priodac : Prophylaxie répétée par l’iode stable en situation accidentelle. Il s’agit d’un projet soutenu par l’Agence nationale de recherche (ANR) dans le cadre du programme d’investissements d’avenir (PIA) «Nucléaire de demain » RSNR 2012.


Pour en savoir plus

Thèse de Dalila Lebsir sur la toxicologie de l’iode stable : www.irsn.fr/these-Lebsir
Thèse de Damien Rosique sur l’évaluation métabolomique du blocage réitéré de la thyroïde par l’iode : https://ecole-doctorale-62.univ-amu.fr/soutenance/781


EXPÉRIMENTATION ANIMALE - Priorité au respect de l’éthique

Rat du Laboratoire de radiotoxicologie et radiobiologie expérimentale (LRTOX) de l’IRSN. - © Francesco Acerbis/Médiathèque IRSN

L’ action des radioéléments sur l’organisme met en jeu des interactions complexes. Elles ne peuvent pas toutes être recréées via des cultures de tissus ou de cellules ni par simulation informatique. L’IRSN doit réaliser des études sur des animaux vivants, exclusivement rats et souris, hébergés au sein des deux animaleries de Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine). Pour veiller au respect des règles et bonnes pratiques françaises et européennes, l’établissement dispose de deux structures de conseil : une chargée du bien-être animal et un comité d’éthique en expérimentation animale. Cinq de ses vingt membres actuels sont externes à l’IRSN, dont deux vétérinaires. Le principe des 3R est appliqué. Il vise à « réduire » le nombre d’animaux utilisés, les « remplacer » chaque fois que c’est possible et « raffiner », c’est-à-dire préserver au mieux leur bien-être, tout en tenant compte des bénéfices attendus pour la santé humaine. Un groupe de support à la recherche et à l’éthique animale veille au respect des règles légales et éthiques, et aux procédures de soin en intervenant quotidiennement dans les animaleries. Ses membres – une vétérinaire et six zootechniciens – développent la sensibilité et les compétences des chercheurs. « Ici, il n’y a pas de séparation stricte des rôles. Nos techniciens, une fois les cages nettoyées et les animaux soignés, participent aux manipulations nécessaires aux recherches, explique le Dr Delphine Denais-Laliève. Les chercheurs ont beaucoup à apprendre des techniciens et de leurs observations, qui enrichissent souvent les résultats. »

Contact : delphine.denaislalieve@irsn.fr
Pour en savoir plus : www.irsn.fr/GSEA



Article publié en janvier 2020