REPORTAGE - Dans la fabrique des EPS incendie

Les études probabilistes de sûreté (EPS) dédiées aux incendies résultent d’une collaboration approfondie entre deux domaines d’expertise : les EPS et la modélisation du risque incendie. Zoom sur ce processus au centre de Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine).

Ce 9 juin 2023, Isabelle Miramon et Raphaël Meyrand discutent à bâtons rompus au centre de Fontenay-aux-Roses. Les deux experts finalisent l’EPS incendie 1 300 MWe de niveau 1 de l’IRSN, en partant des données de référence de la centrale de Cattenom (Moselle). Savoir modéliser les probabilités d’apparition d’un incendie et de ses conséquences sur l’installation est crucial : l’Institut va in fine comparer les résultats de ses propres études à celles de l’exploitant EDF, dont il expertise les démonstrations de sûreté.
C’est Isabelle Miramon qui, au sein du bureau des EPS, pilote les expertises EPS 1 associées au quatrième réexamen périodique des réacteurs de 1 300 MWe. Pour les EPS incendie réalisées par son équipe, le processus commence par la sélection et la quantification de la fréquence des départs de feu survenus sur le parc en exploitation – incendies dus à des dysfonctionnements électriques, à des feux d’armoires ou de moteurs – ou d’origine humaine – erreur de maintenance, etc. À partir de ces données, les spécialistes examinent les probabilités de réussite ou d’échec de chacune des parades* permettant de maîtriser la progression du feu : porte coupe-feu, détecteur incendie, arroseur d’eau, intervention des pompiers… Il en résulte une multitude de scénarios « incendie » possibles.
Ces derniers sont ensuite couplés aux scénarios accidentels du modèle EPS 1 « évènements internes ». « En effet, un incendie peut provoquer le dysfonctionnement de certains équipements nécessaires pour prévenir la fusion du cœur du réacteur, évènement qui fait lui-même l’objet d’une EPS », souligne Isabelle Miramon. Pour effectuer ces liens, les experts évaluent les durées d’atteinte des critères de dysfonctionnement des matériels participant à la protection du réacteur – 65 °C pour une carte électronique par exemple – et les comparent à la durée du feu dans le scénario retenu. C’est là que le Bureau d’expertise en incendie et explosion (Bexie) intervient : « Nous savons modéliser des feux et la propagation de ses effets dans un ou plusieurs locaux, comme la montée en température ou la propagation des fumées », indique Raphaël Meyrand, expert incendie. Cela permet de savoir si ces effets peuvent se propager à d’autres locaux ou endommager d’autres équipements.
Ce travail minutieux – la centrale de Cattenom comporte plus de 1 500 locaux ! – fait la différence en termes de sûreté : en 2013, EDF avait choisi de modéliser les rangées d’armoires électriques de chaque local comme une seule entité. Mais en modélisant le foyer de manière plus fine, en prenant en compte la propagation entre les armoires d’une même rangée, cela aboutit à des puissances de feu supérieures, modifiant le périmètre des équipements susceptibles de dysfonctionner. EDF a adopté cette approche dans ses EPS suivantes.
Ce type d’échanges fructueux se reproduiront bientôt, avec l’expertise de dossiers de sûreté, à l’occasion des réexamens périodiques des réacteurs d’EDF en cours.

© Célia Goumard/Médiathèque IRSN

Respectivement experts en étude probabiliste de sûreté (EPS) et en et incendie, Isabelle Miramon et Raphaël Meyrand passent en revue l’EPS incendie 1 300 MWe de niveau 1 de l’IRSN. Les scénarios « incendie » sont matérialisés par des arbres d’évènements dont l’évènement initiateur correspond à chaque cause possible de départ de feu : dysfonctionnement d’un matériel, erreur humaine, etc. Chaque embranchement représente la probabilité qu’un équipement de sécurité – porte coupe-feu, extincteur automatique, etc. – fonctionne ou pas. L’ensemble des scénarios « incendie » plausibles est ainsi couvert.

© Célia Goumard/Médiathèque IRSN

Raphaël Meyrand détaille les calculs obtenus sur une partie du réseau aéraulique de la centrale avec l’outil Sylvia. Celui-ci simule l’évolution des feux et la propagation des fumées de façon couplée : l’incendie et la ventilation. Les experts modélisent des feux d’équipements et leurs conséquences sur le fonctionnement d’autres éléments participant à la protection du réacteur. 

© EDF

Pour réaliser les calculs en support aux études probabilistes de sûreté incendies, en amont de leur modélisation, les experts se rendent sur site. Ici, ils réalisent des relevés des potentiels foyers dans la centrale de Cattenom (Moselle).



Article publié en décembre 2023