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C’est le délai qu’il est préférable de ne pas dépasser pour prendre un premier traitement contre une contamination interne par un radionucléide.
Pour décontaminer les patients ayant ingéré ou inhalé des éléments radioactifs, des scientifiques mettent au point de nouveaux produits décorporants. Leur rôle ? Se fixer sur un radionucléide pour l’évacuer ensuite par voie naturelle. Un mode d’action très ciblé, dont l’efficacité reste à améliorer.
Que faire lorsqu’on risque d’être exposé à une contamination radioactive ? S’il s’agit d’un accident sur un réacteur nucléaire, prendre sur consigne des autorités une dose de 130 milligrammes d’iodure de potassium. Elle sature la thyroïde et empêche l’iode 131 radioactif de s’y fixer. Si le risque persiste, peut-on en reprendre les jours suivants sans danger ? Pour s’en assurer, l’Institut coordonne depuis 2014 le programme de recherche Priodac (Prophylaxie répétée par l’iode stable en situation accidentelle, voir le dossier du Repères n°44. « Nous avons prouvé chez l’animal que cela n’entraînait pas de toxicité », expose Maamar Souidi, chercheur en toxicologie. Des résultats confirmés par des études précliniques réglementaires menées par la pharmacie centrale des armées. Ils conduisent l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) à autoriser en mars 2020 la prescription d’une dose par jour, jusqu’à sept jours, pour les adultes et enfants de plus de 12 ans¹. « C’est une avancée majeure. Nous espérons diffuser cette prescription au niveau européen, voire mondial via l’Organisation mondiale de la santé », s’enthousiasme le chercheur. Seule ombre au tableau : les femmes enceintes ou allaitantes et les enfants de moins de 12 ans restent exclus de cette variation de posologie. « Nos études précliniques², publiées entre 2019 et 2022, démontrent une absence de toxicité, souligne-t-il, mais les études réglementaires réalisées par la pharmacie centrale des armées donnent des résultats plus ambigus. En 2024, l’Agence du médicament nous a donc demandé une étude bibliographique sur ce sujet et une analyse du rapport bénéfice-risque chez la femme enceinte et chez l’enfant. »
L’iode 131 n’est pas le seul élément radioactif disséminé lors d’un accident nucléaire. Comment se protéger des autres, comme l’uranium ou le césium 137, ou s’en décontaminer ? Le traitement le plus radical est l’ablation chirurgicale du tissu contaminé. Ou le lavage des poumons par du liquide physiologique. « Un traitement exceptionnel car risqué pour le patient », commente Guillaume Phan, pharmacien expert en radiotoxicologie à l’Institut. Il étudie des traitements à base de molécules dites « décorporantes », capables d’éliminer du corps humain un radionucléide spécifique. L’iodure de potassium en est une ; il agit en bloquant le site de fixation de l’iode radioactif facilitant ainsi son élimination. Boire beaucoup d’eau dilue également le tritium – un hydrogène radioactif – dans de grandes quantités d’hydrogène stable.
Pour éliminer le strontium radioactif, qui se fixe sur le squelette, prendre du calcium stable, aux propriétés chimiques très proches, amène ce dernier à déplacer le strontium, qui s’éliminera par les voies naturelles, et à prendre sa place dans le tissu osseux. Un phénomène qui peut être accéléré en acidifiant le sang par du chlorure d’ammonium. Le bleu de Prusse échange de son côté son fer avec le césium radioactif dans le tube digestif, pour former un complexe non soluble éliminé naturellement dans les excréments.
Un autre décorporant très utilisé est le DTPA (pour acide diéthylène triamine penta acétique). Il se fixe sur les actinides transuraniens, comme le plutonium ou le curium, en l’enchâssant grâce à sa structure en pince de crabe. L’ensemble forme un chélate, éliminé par les voies naturelles. Disponible uniquement sous perfusion, le DTPA a un gros défaut : il n’agit pas sur l’uranium, qui est le principal composant du combustible nucléaire. « Pire, il aurait une action synergique sur la toxicité rénale induite par l’uranium », ajoute Guillaume Phan.
Son équipe de chercheurs développe donc des molécules dites « calixarènes ». « Des molécules cages qui agissent comme le DTPA, mais capables de lier aussi l’uranium. Comme elles ne sont pas complètement hydrosolubles, nous les avons incorporées dans des émulsions lavantes applicables sur la peau pour favoriser sa décontamination », explique le pharmacien. Un brevet est déposé en 2008. Les recherches se poursuivent pour pouvoir administrer ces calixarènes sur des plaies contaminées.
L’efficacité des décorporants reste cependant modeste. « On élimine environ la moitié de l’activité incorporée, avec des risques qui ne sont pas anodins, car les décorporants peuvent aussi éliminer des oligoéléments, comme le calcium ou le zinc, nécessaires à l’organisme », prévient Guillaume Phan. L’IRSN lance donc en avril 2024, en partenariat avec plusieurs instituts franco-allemands, le programme ActiDecorp. Son objectif : trouver de nouvelles molécules chélatantes efficaces par voie intraveineuse ou intravasculaire, à la fois sur les actinides et sur l’uranium.
1. Review of the PRIODAC project on thyroid protection from radioactive iodine by repeated iodine intake in individuals aged 12, Jean-Charles Martin et al., Eur Thyroid J., 2024 Jan 1 ;13(1):e230139. – Prophylaxie par iodure de potassium en situation d’accident nucléaire, M. Souidi et al., La Revue du Praticien-Médecine Générale, tome 35 – N° 1062 – décembre 2021.
2. Repeated potassium iodine exposure during pregnancy does not impact progeny’s brain development. H. Gaouaoui et al., Curr. Neurobiol., 2021 ; 12(2): 48-56. – Protection and safety of a repeated dosage of KI for Iodine Thyroid Blocking during pregnancy, H. Gaouaoui et al., Journal of Radiological Protection, 2022 ; 42-011512.
C’est le délai qu’il est préférable de ne pas dépasser pour prendre un premier traitement contre une contamination interne par un radionucléide.
Dossier Repères n° 44, « Comprimés d’iode, des avancées pour protéger la population »
Article publié en octobre 2024