Intervenir auprès des populations exposées

Si un accident nucléaire majeur survenait sur une centrale nucléaire française, l’IRSN participerait activement à la réponse sanitaire et médicale déployée auprès des populations. Que ce soit en projetant sur place ses moyens mobiles de dosimétrie, ou en analysant dans son laboratoire fixe du Vésinet les échantillons biologiques récoltés.

En cas d’accident nucléaire, une cellule santé rejoint le centre technique de crise (CTC) pour évaluer les risques de contamination ou d’irradiation, mobiliser les moyens de mesures et d’analyse dosimétriques, et aider à préparer la réponse hospitalière. - © Stéphanie Clavelle/Médiathèque IRSN

Branle-bas de combat au centre technique de crise (CTC) de l’IRSN, à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine) : un accident majeur vient d’avoir lieu sur une centrale nucléaire française. Un scénario fictif auquel la France n’a jamais été confrontée, mais pour lequel l’Institut se tient prêt. Le personnel d’astreinte, complété par une « cellule santé » de six personnes, expertes en dosimétrie, évaluation sanitaire, etc., rejoindrait alors le CTC.
Si l’exploitant ne parvient pas à circonscrire l’accident, il alerte le préfet, qui déclenche le plan particulier d’intervention (PPI) nucléaire, plan spécifique du dispositif Orsec (Organisation de la réponse de sécurité civile), dans le (ou les) département(s) concerné(s). La préfecture active son centre opérationnel départemental, et installe un poste de commandement opérationnel à quelques dizaines de kilomètres de l’accident, hors de portée des retombées radioactives.
Au CTC, la cellule des conséquences radiologiques modélise l’évolution du panache radioactif qui s’échappe et prédit rapidement les zones qui seront probablement polluées. Des mesures sur le terrain affineront ses estimations. La cellule santé intervient alors. « Son premier travail est d’identifier les radionucléides relâchés, puis les risques pour les populations. Nos experts vont caractériser la situation, identifier les voies d’exposition et les groupes de personnes qui pourraient être touchés », précise Bruno Cessac, qui pilote les développements de cette cellule. Le risque principal pour les riverains est de respirer des particules radioactives présentes dans le nuage. Il y aurait ensuite, à plus long terme, celui d’être exposés aux rayonnements dus aux dépôts au sol et contaminés par l’ingestion de denrées contenant des éléments radioactifs. L’IRSN transmet ses premières recommandations au préfet pour guider la prise de décision.
Pendant que la Force d’action rapide nucléaire (Farn) d’EDF intervient dans la centrale et que l’exploitant sécurise son personnel, pompiers et Samu prennent en charge les riverains. Un message d’alerte, envoyé sur tout téléphone portable dans un rayon de 2 ou 5 kilomètres selon l’ampleur des rejets, peut recommander de rester à l’abri ou de se préparer à évacuer, et éventuellement d’absorber une dose d’iode. En saturant la glande thyroïde, l’iode stable du comprimé empêche que de l’iode 131 radioactif s’y fixe et augmente le risque de développer à terme un cancer. Dans un rayon de 20 kilomètres, ces comprimés d’iode sont prédistribués aux populations et aux entreprises.

Parmi les premières mesures à prendre lors d’un accident nucléaire : estimer les rejets potentiels ou avérés, et en déduire les conséquences pour les humains et l’environnement. Un diagnostic aussitôt transmis aux autorités. - © Sophie Brändström/Signatures/Médiathèque IRSN

Portiques et douches

« S’il y a une contamination massive, le PPI du dispositif Orsec prévoit un bouclage routier hors des retombées radioactives et de réquisitionner des bus pour amener les personnes vers le SAS interservices, qui peut être positionné à proximité du poste de commandement opérationnel », explique ensuite le capitaine des pompiers Philippe Sans, référent en risque radiologique pour la Haute-Garonne. Les pompiers y ont installé des portiques mobiles de contrôle. « Ils ressemblent à des portiques d'aéroport à travers lesquels les personnes passent. Elles déclenchent une alarme si elles ont des dépôts radioactifs sur elles », décrit-il. Les personnes sont alors déshabillées et des douches mobiles, mises en œuvre par les pompiers, éliminent la radioactivité externe déposée sur le corps ou les cheveux.

En chiffres

  • 90 %

    c’est la contamination externe enlevée par un simple déshabillage.

Reste ensuite à s’assurer que la personne n’a pas inhalé ou ingéré des éléments radioactifs. « Il y a deux façons de détecter cette contamination interne. Soit la personne est placée devant un détecteur de rayonnement, pour quantifier les émissions qui sortent de son corps, soit des mesures sont effectuées sur ses urines ou sur ses selles dans un laboratoire », explique Cécile Challeton-de Vathaire, experte en dosimétrie interne à l’IRSN. Pour la première, l’Institut dispose de détecteurs embarqués dans une flotte de véhicules : quatre fourgons contenant chacun quatre postes de mesures ; quatre conteneurs transportables renfermant chacun dix postes, et deux autres camions équipés de détecteurs plus sensibles, utilisés habituellement pour surveiller les travailleurs exposés à un risque de contamination interne par une source radioactive dans leur activité professionnelle. 
« L'Institut est la structure en France qui dispose de la plus grande flotte de moyens mobiles. Elle correspond à une capacité totale, en cas d’accident majeur, d'environ 4 500 mesures par jour sur des personnes », décompte Bruno Cessac. Une flotte précieuse en cas d’accident sur un réacteur, dont les rejets contiennent surtout des émetteurs de photons gamma, facilement mesurables par ces moyens mobiles.
« La personne s’assoit devant deux détecteurs. L’un se focalise sur la thyroïde. L’autre mesure les émissions du thorax, des poumons », précise Jeanne Loyen, experte en dosimétrie interne. Dans la majorité des scénarios d’accident, le produit que ces détecteurs recherchent, lors d’un examen de quelques minutes, est l’iode 131 radioactif. Pour les personnes ne présentant aucune radioactivité interne, ou en dessous d’un certain seuil, les évaluations de contamination s’arrêteront là. Pour les autres, des analyses complémentaires en laboratoire seront planifiées pour confirmer la mesure de terrain, et un suivi médical adapté pourra être mis en place. Toutes les personnes sont néanmoins aiguillées vers un médecin présent pour analyser et expliciter les résultats.

Sur place, les pompiers installent des détecteurs de radioactivité pour identifier les contaminations sur la peau, les cheveux ou les vêtements. Les personnes concernées sont ensuite déshabillées et dirigées vers des douches de décontamination. - © Arnaud Bouissou/MEDDE/Médiathèque IRSN
Simulation lors d’un exercice du passage en douche de décontamination. En situation réelle, la personne contaminée abandonnerait tous ses vêtements. Une dosimétrie interne est ensuite faite pour détecter l’inhalation ou l’ingestion d’éléments radioactifs. - © Guillaume Murat/Signatures/Médiathèque IRSN

Prélèvements pour analyse

Si l’accident survient dans une installation nucléaire autre qu’un réacteur, comme une usine de retraitement du combustible, les rejets peuvent être principalement des émetteurs de rayonnements alpha, comme l’uranium ou des transuraniens. Absorbés par les tissus humains, ces derniers sont difficilement détectables à l’extérieur du corps. Pour les dépister, il faut récolter les urines ou les selles, et les envoyer pour analyse dans un laboratoire spécialisé, comme celui de biologie médicale et d’anthroporadiométrie (LABM) de l’Institut, au Vésinet (Yvelines). Un processus lourd, qui prendra plusieurs jours, délai que les scientifiques cherchent à optimiser. « Nous disposons de systèmes d’auto-prélèvements dans les narines qui permettraient non pas de mesurer une dose, mais de savoir sur quels échantillons biologiques faire prioritairement des analyses en laboratoire », détaille Jeanne Loyen.
L’urgence médicale, en cas de lésions sévères, prévaut sur le risque de contamination radioactive. Pour prendre en charge les personnes qui ont besoin de soins hospitaliers, ou qui se présentent spontanément aux urgences et risquent de contaminer le service, le dispositif Orsan (Organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles) s’articule avec le plan Orsec. Il définit le parcours de soins et les filières de prise en charge médicale des victimes vers des établissements de santé pré-identifiés. Il désigne notamment un établissement de santé de référence, qui centralise l’offre de soins spécialisés. « Cet établissement doit pouvoir accueillir au bloc opératoire des patients présentant à la fois des lésions somatiques graves et une contamination radioactive », présente Jean-Marc Philippe, médecin réanimateur et expert à la direction générale de la Santé (DGS).  
Un casse-tête ? Pas forcément. « La contamination radioactive est plus facile à gérer que l’arrivée d’un patient très contagieux. Elle est facile à détecter, confie le médecin réanimateur. L’enjeu est plutôt de prendre en charge les victimes d'un événement nucléaire majeur tout en assurant la continuité des autres soins. »

Le porte-parole santé, au sein de la cellule Communication du CTC, répond aux questions sanitaires que se posent le public, les médias et les différentes parties prenantes mobilisées lors de l’accident. - © Célia Goumard / Médiathèque IRSN

Pour en savoir plus

Repères n° 54, Reportage, « Exercice de crise, les sapeurs-pompiers auprès des populations » 

Guide national d’intervention médicale en situation d’urgence nucléaire ou radiologique : https://www.asn.fr/l-asn-reglemente/guides-de-l-asn/guide-national-d-in…



Article publié en octobre 2024