Irradiation industrielle : stériliser en sûreté

Dispositifs anti-intrusion, détection incendie, confinement des sources... L’irradiation industrielle exige des mesures de sûreté. Reportage chez Ionisos, spécialiste de la stérilisation, à Sablé-sur-Sarthe (Sarthe), aux côtés du responsable sûreté.

Pour prévenir la corrosion de l’enveloppe inox des sources, l’eau de la piscine est très surveillée. Son niveau est vérifié et sa qualité est évaluée. - © Florian Houalet/Ionis

Dans le vaste hall rappelant un entrepôt de stockage – partout des rayonnages, des palettes… – le responsable sûreté nucléaire, Tarik Beladgham, expose ses missions, avec passion et minutie. Voilà six mois qu’il a rejoint le groupe Ionisos.
Derrière lui, l’imposante casemate est flanquée du trisecteur. Cela donne le ton : nous sommes dans l’installation nucléaire de base (INB) no 154. Ici, on stérilise avec des rayons gamma. L’installation est suivie par l’IRSN.
Les produits à stériliser (dispositifs médicaux, brumisateurs, etc.) sont convoyés par palette entière autour d’un porte-sources composé de plusieurs centaines de crayons de cobalt 60. La stérilisation dure plusieurs heures. À un mètre de la source de 130 000 TBq, une seconde suffit pour recevoir plus d’une fois la dose létale à 100 % (DL100), soit environ 12 Gy.
Si l’installation intègre les protections radiologiques usuelles – un bunker isolé par deux mètres de béton et une piscine faisant écran au rayonnement du porte-sources, hors périodes d’activité – il incombe à l’ingénieur d’assurer la sûreté au quotidien.

Vidéo et détecteurs

En prenant garde de ne pas gêner les caristes qui manient des engins de manutention, l’ingénieur se dirige vers la casemate. Veiller au confinement des sources qui s’y trouvent est sa première mission. « Tant que leur double enveloppe d’acier est intègre, il n’y a pas de contamination possible », indique-t-il. Éviter la corrosion que pourrait induire un excès de chlorure dans l’eau de la piscine est capital. « Des contrôles qualité vérifient qu’elle reste inférieure à 1 mg/L. »
Une alarme retentit. Techniciens, opérateurs… quittent le bâtiment pour l’exercice incendie semestriel. Depuis 2013, le site s’est agrandi. « Les nouveaux bâtiments ont été raccordés à la centrale incendie. Tout le dispositif a été adapté pour des raisons de sûreté. L’automate qui actionne le porte-sources y est relié. En cas de départ de feu, il le fait descendre dans la piscine », explique-t-il.
De retour en réunion, l’ingénieur revient sur une mission ponctuelle importante : lors du réexamen de sûreté initié en 2013, l’Institut a recommandé à la société d’actualiser des données sismotectoniques du site. « Le risque serait que les murs de la casemate s’effondrent, alors que les sources sont émergées. »
Autre chantier : la mise en conformité de ses dispositifs anti-intrusion, suite à l’arrêté de 2019 sur la protection des sources. « La clôture sera renforcée au niveau de la reconnaissance vidéo et des capteurs infrarouges », une mise en conformité à effectuer avant juillet 2022. Avec pour objectif toujours plus de sûreté et de sécurité.
Pour prévenir la corrosion de l’enveloppe inox des sources, l’eau de la piscine est très surveillée. Son niveau est vérifié. Sa qualité est évaluée en suivant deux paramètres : sa résistivité et sa teneur en chlorure. Celle-ci doit être inférieure à 1 mg/l. Elle est contrôlée trimestriellement après prélèvement par un technicien, comme ici.

Sources et radioprotection

Les crayons de cobalt 60, utilisés pour la stérilisation, sont insérés dans des modules déposés sur un porte-sources. Hors période d’activité, il est en position de sûreté, plongé dans une piscine de plusieurs mètres de profondeur. Cet écran d’eau assure la radioprotection du personnel. La piscine est tapissée d’un matelas amortisseur, dont la résistance est régulièrement contrôlée.


Éviter la contamination par les déchets

Les déchets classés « de très faible activité » (TFA) sont essentiellement des consommables issus des manipulations des sources et circuits de filtration de la piscine. Ils sont stockés dans des fûts en métal. Ionisos entreprend une démarche pour les reclasser en déchets conventionnels, car jamais aucune contamination n’avait été détectée.


Des dispositifs anti-intrusion

Pour prévenir toute intrusion dans la casemate pendant l’irradiation, divers capteurs sont disposés le long du convoyeur qui achemine automatiquement les objets à stériliser sur des nacelles. En cas d’anomalie, ces dispositifs font automatiquement descendre le porte-sources en position de sûreté. Une signalétique et des grilles sécurisent la zone.


Maîtriser les opérations à risque

Les inspections de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) sont régulières. Elles portent sur les opérations à risque, comme le rechargement des sources de cobalt. En réunion post-inspection, les procédures et justificatifs exigés sont passés au crible : transport des sources, manipulation des colis, etc. De gauche à droite : Hervé Bouttier, responsable technique, Jonathan Calteau, responsable d’exploitation et Tarik Beladgham, responsable sûreté.


S’assurer de l’absence de fuites de radioactivité

Farrid Benoist, technicien de maintenance, mesure chaque mois le débit de dose à l’extérieur de la casemate à l’aide d’un radiamètre. En vérifiant qu’il ne dépasse pas le seuil fixé de 0,1 μSv/h, il s’assure que les protections radiologiques jouent bien leur rôle d’écran.


DIAPORAMA

Incendies, panne… les mesures pour assurer la sûreté d’un irradiateur industriel

Toute l’installation – notamment les dispositifs automatisés – est reliée à la centrale incendie de Ionisos. En cas de départ de feu, le porte-sources descend ainsi automatiquement au fond de la piscine, en position de sûreté. Les techniciens (ici Hervé Bouttier, responsable technique) sont les garants du bon fonctionnement des matériels.

Porte-sources, convoyeur, ventilation… en fonctionnement normal, tout est piloté par l’ordinateur depuis la salle de commande. En cas de panne ou d’anomalie, les techniciens habilités – ici Hervé Bouttier, responsable technique – passent en mode manuel depuis le pupitre de commandes.

Florian Houalet, technicien, mesure le débit de dose à l’extérieur de la casemate à l’aide d’un radiamètre. Il fait partie des six opérateurs habilités à entrer seuls dans la casemate. En cas de dépassement du seuil fixé à 0,1 µSv/h, il lance l’alerte, balise la zone et fait descendre le porte-sources en position de sûreté.

Un exercice incendie est organisé chaque semestre. Le plan d’urgence interne est également testé chaque année. Une cellule de crise est alors mise en place : les procédures internes et les liaisons téléphoniques avec le groupe, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et la préfecture sont vérifiées.

Depuis 2013, le site de Ionisos à Sablé-sur-Sarthe (Sarthe) s’est agrandi. Une annexe dédiée au rechargement des batteries d’engins de manutention a été construite et présente un risque d’explosion dû à l’accumulation potentielle d’hydrogène dans ce local. Une ventilation préalablement dimensionnée a été installée pour évacuer cet hydrogène et l’extension a été reliée à la centrale incendie.

Les déchets classés « de très faible activité (TFA) » sont des consommables issus des manipulations des sources et circuits de filtration de la piscine – résines échangeuses d’ion filtrant les ions chlorure. Leur stockage dans des fûts en métal évite toute dispersion de contamination. En vue de les évacuer, un dossier de caractérisation est soumis à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra).

Crédit reportage photo : @Sophie Brändström/Signatures/Médiathèque IRSN


Article publié en novembre 2020