20 avis
environ publiés chaque année bénéficient d’un support d’EPS.
Défaillance des alimentations électriques, rupture d’une tuyauterie... L’approche dite « déterministe » postule la défaillance de certains composants d’une installation pour concevoir les parades et limiter les conséquences. Elle est complétée par des études probabilistes. Utilisées par l’exploitant et les experts de l’IRSN, elles contribuent à une meilleure appréhension des risques de défaillances et de leurs conséquences. In fine, elles contribuent à renforcer la sûreté.
Conception, réexamens périodiques, conduite d’un réacteur… À toutes ces étapes, les études probabilistes de sûreté (EPS) sont devenues essentielles à la sûreté des réacteurs en France. Elles quantifient les probabilités de fusion du cœur – étude de niveau 1 –, l’amplitude et les probabilités de rejets radioactifs dans l’environnement – étude de niveau 2 (voir infographie).
L’approche probabiliste – dont l’intérêt est perçu dès les années 70 aux États-Unis1 – quantifie les risques d’accidents avec fusion du cœur induits par des cumuls de défaillances matérielles ou humaines. Un tel cumul a conduit à l’accident de la centrale de Three Mile Island en Pennsylvanie (États-Unis) en 1979.
Les EPS sont utilisées lors de la conception des réacteurs, pendant leur fonctionnement ainsi que pour leurs réexamens périodiques de sûreté. Elles sont aussi mises en œuvre pour d’autres installations, comme celles du cycle du combustible.
Repères illustre leur apport en sûreté pour le parc français.
Produire jusqu’à 1 650 MWe pendant soixante ans avec un niveau de sûreté inégalé… La feuille de route des réacteurs de troisième génération, les EPR, est ambitieuse. « Pour y parvenir, les concepteurs intègrent des EPS dès l’étape projet », expose Gabriel Georgescu, expert des EPS de niveau 1. Ces études doivent justifier que la probabilité de fusion du cœur est inférieure à 10-5 (ou 1/100 000) par année de fonctionnement du réacteur, confirmer la qualité des choix de conception – la suffisance des redondances par exemple –, confirmer le caractère extrêmement improbable des accidents avec rejets rapides et massifs dans l’environnement, et faire émerger des dispositions de conception nouvelles pour réduire les risques.
À la suite de considérations probabilistes, deux groupes électrogènes d’ultime secours, en plus des quatre diesels principaux, et une seconde source froide pour les situations accidentelles ont été intégrés à la conception de l’EPR de Flamanville 3 (Manche).
Pour expertiser les EPS de ce réacteur, entre 2006 et 2018, l’IRSN développe ses propres études, puis compare les enseignements tirés avec ceux d’EDF. Ce travail permet d’engager un dialogue technique avec l’énergéticien et aboutit à plusieurs avis, dans le cadre de l’autorisation de création puis en préparation de la mise en service, et à des améliorations. Par exemple, « le contrôle commande est amélioré pour fonctionner dans toutes les situations », illustre l’expert.
Lors des réexamens périodiques de sûreté, les experts apprécient le niveau de sûreté d’une installation et définissent les modifications à mettre en œuvre, à l’aune de connaissances actualisées et des meilleures pratiques en vigueur.
Entre 2004 et 2009, à l’occasion du réexamen périodique associé aux troisièmes visites décennales des réacteurs de 900 MWe, EDF réalise notamment des EPS de niveau 2 pour évaluer les risques de rejets en cas d’accident de fusion du cœur. L’Institut les expertise et poursuit le développement de ses propres études, lancées à la fin des années 1990. En particulier, pour évaluer le comportement des enceintes de confinement, les spécialistes de l’IRSN recourent à des modèles en cascade, dits multi-échelles. « Le travail débute avec le modèle complet de l’enceinte, puis se focalise sur l’emplacement du point faible identifié. La modélisation se poursuit vers des structures individuelles – fourreau, couche de recouvrement dite liner, etc. – et parvient aux boulons fermant le tampon d’accès matériel de l’enceinte. Cette démarche permet d’isoler, depuis un ensemble, une singularité susceptible de favoriser un rejet direct de radioactivité, décrit Georges Nahas, expert des EPS. En l’occurrence, nos calculs révèlent une mauvaise résistance à la déformation du tampon d’accès matériel. »
Les études sont validées en les comparant à des essais sur maquette, à l’échelle un quart, d’une enceinte de confinement, réalisés à Sandia National Lab, aux États-Unis.
L’analyse pointe des améliorations possibles et l’industriel en tient compte : les boulons sont modifiés à partir de la visite décennale des réacteurs et les joints de remplacement du tampon d’accès matériel utilisent un matériau plus robuste aux changements de température et de pression.
En mars 2021, à la centrale de Cruas-Meysse (Ardèche), un réacteur est à l’arrêt pour rechargement du combustible. Le cœur est déchargé et le circuit primaire est partiellement vidangé. Un opérateur ouvre par erreur une vanne d’un circuit relié au circuit primaire. Cette erreur conduit à une injection incontrôlée d’eau claire (c’est-à-dire sans bore) dans le circuit primaire. Après rechargement en combustible, lors du redémarrage du réacteur, la mise en service des pompes du circuit primaire aurait pu entraîner l’envoi de ce volume d’eau claire vers le cœur du réacteur où le manque de bore aurait pu conduire à un emballement de la réaction nucléaire en chaîne. Plusieurs erreurs vont avoir lieu mais la dilution est arrêtée à temps et l’incident n’a pas de conséquences.
Un « événement significatif pour la sûreté » est déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Les experts de l’IRSN l’analysent. La fusion du cœur aurait été une conséquence possible si l’injection d’eau claire s’était prolongée, mais avec quelle probabilité ? Les experts l’évaluent à l’aide d’une étude EPS de niveau 1. Ils estiment tout d’abord, en tenant compte des circonstances, la probabilité d’injection d’un volume d’eau claire plus important. « Il y avait ensuite une chance sur deux que l’eau claire accumulée ne soit pas évacuée avant rechargement du combustible, et une chance sur trois que la première pompe du circuit primaire mise en route pousse l’eau claire au contact du combustible. Le produit de ces valeurs donne la probabilité finale », décrypte Mioara Georgescu, experte en sûreté et EPS. Compte tenu du résultat, l’IRSN considère l’événement comme un précurseur d’accident méritant un renforcement des parades. « Le référentiel de l’exploitant doit être renforcé par une ligne de défense supplémentaire. L’avis publié en 20222 fait des propositions : vidanger la tuyauterie en amont de la pompe du circuit primaire activée en premier, bannir l’utilisation de l’eau claire... », propose l’experte.
Un événement significatif pour la sûreté détecté lors de la visite décennale d’un réacteur de la centrale de Nogent-sur-Seine (Aube) en 2019 apporte un autre exemple : des contrôles de maintenance révèlent alors des rayures sur des fiches de connexion de gaines métalliques contenant des câbles. Elles compromettent l’étanchéité de la connexion. « Elles peuvent induire un refus de manœuvres initiées à distance, depuis la salle de commande, ou des manœuvres intempestives des vannes et soupapes », explique William Fatoux, expert en sûreté nucléaire. Les experts identifient les vannes et soupapes potentiellement affectées puis, en utilisant une étude EPS de niveau 1, évaluent l’accroissement de probabilité de fusion du cœur résultant de la présence de ces anomalies. Cet accroissement est tel que l’événement est considéré comme un précurseur d’accident3.
L’EPS de niveau 1 est prolongée par une EPS de niveau 2 pour estimer la probabilité de rejets dans l’environnement. « Les soupapes du circuit primaire sont capitales en cas d’accident grave. Les ouvrir est la première action à entreprendre pour faire chuter la pression. Or, les soupapes seraient potentiellement affectées par cette anomalie », précise Guillaume Kioseyian, expert des EPS. L’étude conclut au fort enjeu en termes de sûreté de cet événement. À Dampierre (Aube) et Civaux (Vienne), de telles rayures sont constatées. En 2021, l’industriel met en place un plan d’action et engage des contrôles sur l’ensemble des réacteurs du parc, lors de leurs arrêts.
Dans une centrale nucléaire, les opérateurs exécutent quotidiennement de nombreuses actions. Quelles conséquences en cas d’erreur ? « Contrairement aux défaillances matérielles, pour lesquelles nous avons des données statistiques, les actions des opérateurs requièrent des modélisations. C’est l’objet des études probabilistes de la fiabilité humaine [EPFH] », détaille Ali Said, expert de cette approche faisant partie intégrante des EPS. Il s’agit d’évaluer la probabilité d’échec – défaut de réalisation ou action inopportune – d’une action humaine qui aurait des conséquences en cas d’incident ou d’accident.
Absence de lumière, stress, encombrement... En cas de problème, tout se corse. « Les EPFH prennent en compte la réalité du terrain, clarifie l’expert. Elles prennent aussi en compte les interactions entre les opérateurs. » In fine, elles conduisent à des améliorations de sûreté. Une expertise portant sur l’accident hypothétique de perte totale des alimentations électriques est menée lors de la seconde visite décennale des réacteurs de 1 450 MWe situés à Chooz (Ardennes) et Civaux (Vienne). Pour éviter la fusion du cœur dans ce cas, les opérateurs doivent mettre en œuvre dans un certain délai une série d’actions permettant un appoint en eau au cœur. Les experts EPFH prennent en compte des conditions représentatives – absence de lumière, lampes frontales, difficultés d’accès… –, parcourent les consignes de conduite des opérateurs et estiment la durée des actions prévues : préparer la pompe pour l’appoint en eau, etc. Le délai pour éviter la fusion du cœur est dépassé. À la suite de ce travail4, un appoint en eau par une autre pompe faisant partie des mesures post-Fukushima et actionnable depuis la salle de commande (donc rapidement) sera prévu par EDF.
La difficulté des EPFH consiste à disposer de valeurs pertinentes pour les durées nécessaires à la réalisation des actions et les probabilités d’erreur humaine. À cet égard, les experts de l’IRSN étudient les incidents ou accidents survenus dans le passé, font des observations de terrain ou interrogent des opérateurs pour disposer de données et de modèles à l’état de l’art.
« À force d’identifier et de réduire les risques dominants, le risque global diminue progressivement, conclut Emmanuel Raimond. Les EPS contribuent ainsi à faire avancer la sûreté. » Elles seront mises en œuvre pour le programme de construction de réacteurs EPR2 et pour les futurs petits réacteurs modulaires (Small Modular Reactor, SMR).
1. Rapport WASH 1400 https://www.osti.gov/biblio/7134131
environ publiés chaque année bénéficient d’un support d’EPS.
environ sont nécessaires à l’IRSN pour la réalisation d’une EPS de niveau 2 complète avec ses études support.
prévues dans la conduite accidentelle font l’objet d’une évaluation EPFH (Étude probabiliste de la fiabilité humaine) en 2021-2022.
EPR
Avis IRSN 2012-00543 Étude probabiliste « long terme » des situations de vents extrêmes pour le réacteur EPR de Flamanville
Avis IRSN 2014-00061 Analyse de l’étude probabiliste de sûreté de niveau 2 du réacteur EPR de Flamanville
Avis IRSN 2016-00091 Sûreté de l’entreposage et de la manutention du combustible
Avis IRSN 2021-00120 Expertise des spécifications techniques d’exploitation (STE)
Accidents graves et étude probabiliste de sûreté de niveau 2 pour le réacteur EPR de Flamanville
Synthèse Rapport IRSN
Études probabilistes de sûreté de niveau 1 du réacteur EPR Flamanville
Quel serait le risque d’un accident si une brèche survenait sur une tuyauterie du circuit primaire d’un réacteur de 1 300 MWe ? Les études probabilistes de sûreté (EPS) répondent à de telles questions. Décryptage.
La démonstration de sûreté des laboratoires, usines et entreposages de déchets (LUDD) peut s’appuyer sur des analyses probabilistes des accidents et de leurs conséquences. Sauf à démontrer que cela n’est pas pertinent, cette disposition demandée par la réglementation généralise les bénéfices apportés par les études probabilistes de sûreté (EPS) aux centrales nucléaires, à l’ensemble des installations nucléaires. « L’exploitant doit livrer ces analyses à l’occasion des réexamens de sûreté qui se déroulent tous les dix ans », expose Nicolas Duflot, spécialiste en EPS à l’IRSN.
Parmi les premiers dossiers expertisés, figure l’usine de La Hague. Deux ateliers sont concernés : celui de concentration des produits de fission et celui qui les stocke. Ces EPS donnent lieu à des échanges constructifs pour la sûreté. Il y a trente ans, l’exploitant Orano avait produit une étude probabiliste. Les experts lui demandent de la réviser à l’aune des critères de qualité actuels. Ces derniers incluent la prise en compte des défaillances liées à des actions humaines ou à des problèmes génériques touchant au matériel, comme des défauts de fabrication ou de maintenance.
Pour réaliser cet examen, les équipes de l’IRSN développent leurs propres études, dont les résultats sont comparés à ceux d’Orano. Les LUDD comprennent moins de systèmes de sécurité automatiques et de redondance que les réacteurs à eau sous pression (REP) et les scénarios accidentels pouvant entraîner des rejets de produits radioactifs dans l’environnement sont plus lents. Les EPS correspondantes sont donc différentes, elles reposent davantage sur la modélisation de la maintenance et la capacité à réparer une installation plutôt que sur sa robustesse intrinsèque. Mais comme pour les REP, elles permettent d’examiner la suffisance des dispositions de gestion des situations accidentelles.
La sûreté nucléaire en France, est-elle « risk informed » ou pas ? De plus en plus présent dans les discussions internationales et souvent cité dans la littérature en sûreté aux États-Unis, ce concept fait l’objet d’un rapport de l’IRSN publié en 20231. Comme partout ailleurs, l’approche probabiliste complète l’approche déterministe.
« Comment cette approche et celles qui lui sont associées, comme “performance based”, se situent par rapport à d’autres démarches – déterministe et probabiliste –, plus usuelles en France ? Il était important que l’Institut prenne position sur ces notions », se souvient Emmanuel Wattelle, chargé du développement des démarches de sûreté à l’Institut. En 2021, une réflexion est initiée avec les experts concernés ; leurs conclusions sont nuancées.
Aux États-Unis, la sûreté nucléaire est très réglementée, du fait notamment du nombre important d’exploitants nucléaires. Elle repose sur un socle réglementaire beaucoup plus détaillé que celui utilisé en France, où la réglementation renvoie plutôt à des objectifs, des exigences… puis confie à l’expertise le soin d’en évaluer le caractère suffisant. Ce contexte réglementé a contribué à la mise en avant de l’aspect probabiliste dans l’application du « risk informed ».
« En utilisant de longue date les études probabilistes de sûreté – par exemple pour améliorer la prise en compte des risques liés à la perte des sources électriques ou aux états d’arrêts –, en France nous pratiquons aussi le “risk informed”, observe Emmanuel Wattelle. Et lorsque nous concluons sur un besoin de renforcer les sources électriques, sans en préciser le moyen technique, nous sommes “performance based”. Nous ne les nommons juste pas ainsi. »
Des EPS sont utilisées dans tous les pays. Au-delà des querelles de langage, la combinaison des approches, tant déterministe que probabiliste, est une force pour la sûreté qu’il faut conserver.
1. Rapport IRSN 2023-000206
2. https://www.irsn.fr/recherche/risk-informed-approach-safety-analysis-fr…
Positions générales de l’IRSN au regard des notions de risk informed, risk based et risk informed performance based.
Article publié en décembre 2023