Blayais : après la tempête, une meilleure protection
Sûreté des installations. Après l’inondation de la centrale du Blayais lors de la tempête de 1999, l’IRSN s’est impliqué dans la réévaluation des risques inondations. La protection des installations a été améliorée. Systèmes d’alerte, structures, équipements et procédures ont été renforcés.
Les deux tempêtes de décembre 1999, ce sont des souvenirs de forêts dévastées, de jours sans électricité, de rues coupées… Pour les acteurs du nucléaire, c’est surtout le souvenir d’une centrale inondée. À la lumière de ces événements, EDF a présenté une nouvelle démarche de protection à l’égard des inondations. Elle a conduit à une refonte complète de la prise en compte de la sûreté des installations face à ces risques. À la demande de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), l’IRSN a évalué les évolutions proposées par EDF.
Le soir du 27 décembre 1999, les eaux de la Gironde ont envahi la centrale du Blayais, à une soixantaine de kilomètres de Bordeaux, en Gironde. Des défaillances ont affaibli le niveau de sûreté de deux des quatre réacteurs et entraîné le gréement de l’organisation nationale de crise.
Comment en est-on arrivé là ? Trois semaines après, dès le 17 janvier 2000, l’Institut remettait un premier rapport sur cette inondation, ses conséquences et la gestion de la crise. Il en ressortait que le site était conçu pour faire face à une marée haute de niveau maximal, majorée d’une surélévation provoquée par une tempête, soit une hauteur d’eau de 5,02 mètres selon le système de référence Nivellement général de la France (NGF). La conjonction d’un niveau d’eau élevé dans l’estuaire de la Gironde avec une forte houle due à des vents extrêmement violents n’avait pas été anticipée. Des vagues ont submergé les digues à plus de 5,30 mètres NGF. Circonstances aggravantes : les plans d’urgence de l’exploitant n’avaient pas prévu qu’une tempête puisse entraîner concomitamment des coupures de l’alimentation en électricité de la centrale et l’isolement du site dû aux routes coupées.
Après l’accident, des actions correctives ont été demandées à EDF – mise en place d’un système d’alerte fiable, remise en état de la digue, obturation des voies d’eau possibles… –, et une réévaluation de la protection de l’ensemble des centrales contre les inondations.
La démarche “REX Blayais”
À l’époque, c’est la règle fondamentale de sûreté (RFS) 1.2.e, de 1984, qui s’appliquait pour la protection contre les inondations. Cette RFS définit une “cote majorée de sécurité”, c’est-à-dire le niveau d’eau à retenir (lire glossaire). Elle préconise de protéger les installations jusqu’à cette cote – calage des plateformes, obturation des voies d’eau possibles, etc. – et de mettre en place des systèmes d’alerte.
Au lendemain de la tempête, une réévaluation de l’Aléa inondation (lire glossaire) et des risques qu’il représente pour les installations a été entreprise par les acteurs du nucléaire français. Des travaux d’amélioration des protections (voir infographie) et une révision des mesures en cas de crise ont été demandés à EDF. Les équipes de l’Institut ont été sollicitées pour analyser la méthodologie de l’exploitant et évaluer l’aléa inondation et les démarches de sûreté mises en œuvre : c’est la démarche générale “REX Blayais”.
Étudier aléas et protections
Vincent Rebour, hydrogéologue à l’IRSN, était impliqué au moment de l’inondation de 1999. “L’eau avait pénétré loin du front de mer. On se demandait si elle ne venait pas d’une remontée de la nappe phréatique. L’analyse menée au centre de crise de l’IRSN avait révélé que non”, se souvient-il.
Avec son équipe d’experts, il étudie les caractéristiques des sites d’implantation des installations en termes d’aléas géologiques – dont les séismes –, hydrologiques – dont les inondations – et météorologiques. Il mène une activité de recherche et de veille : “Après les récentes crues dans le Var, ou la tempête Xynthia, même si aucune installation n’a été affectée, mon équipe envisage les conséquences qu’auraient eu ces phénomènes. Elle intègre les probabilités dans nos traitements statistiques”, décrit-il.
L’équipe de Patricia Dupuy, spécialiste de l’analyse de sûreté des réacteurs, examine la protection des centrales contre de telles agressions (lire glossaire).
Elle étudie les effets d’une inondation sur un site – par exemple, le bouchage d’une prise d’eau par des débris charriés par une crue –, les équipements à protéger, les dispositions matérielles, procédures et systèmes d’alerte prévus…”Nous expertisons les dossiers de l’exploitant sur ces sujets. Par exemple, lors des réexamens de sûreté, tous les dix ans, ou après des événements marquants comme celui du Blayais”, détaille-t-elle.
En 2013, édition du “guide inondations”
En 2003, des crues exceptionnelles affectant des installations de Tricastin (Drôme et Vaucluse) ont nécessité une meilleure prise en compte des risques d’inondation. Un groupe de travail piloté par l’IRSN et l’ASN et regroupant des experts du domaine a proposé une révision de la RFS. Ce qui a abouti à l’édition par l’ASN, en avril 2013, d’un Guide inondations, relatif à la protection des installations nucléaires de base contre les inondations externes. Les équipes de l’IRSN examinent comment l’exploitant EDF applique les nouvelles consignes de ce guide.
À la suite de l’accident de Fukushima, en 2011, l’ASN a demandé aux exploitants, lors des Évaluations complémentaires de sûreté (ECS), de s’assurer de la robustesse des installations pour des inondations plus extrêmes. Les retours de ces ECS n’ont pas remis en cause les principes édictés dans le guide, mais conduiront à de nouveaux renforcements de la protection des centrales.
Glossaire
Cote majorée de sécurité : défini dans la RFS de 1984, ce niveau d’eau théorique auquel une installation doit pouvoir faire face sans dommage est calculé en fonction de sa situation géographique. Il prend en compte les marées en bord de mer et les crues en zone fluviale, et des marges de sécurité.
Aléas : ce sont les tournures imprévisibles des événements auxquelles les installations peuvent être confrontées : séismes, inondations.
Agression : tout événement ou situation qui peut conduire, de manière directe ou indirecte, à un incident ou un accident. On distingue les agressions internes, qui trouvent leur origine dans l’installation, et les agressions externes, dont l’origine est extérieure à l’installation.
Pour en savoir plus
Rapport sur l’inondation du site du Blayais survenue en 1999 (IPSN, 2000) paru le 17 janvier 2000. www.irsn.fr/blayais99
Rapport sur l’aléa inondation- État de l’art préalable à l’élaboration du guide inondation pour les installations nucléaires, cosigné par 15 établissements publics scientifiques et entreprises. www.irsn.fr/alea-inondation
Guide de l’ASN relatif à la protection des installations nucléaires de base contre les inondations externes (ASN, 2013). https://www.asn.fr/l-asn-reglemente/guides-de-l-asn/guide-de-l-asn-n-13…
3 QUESTIONS À… William Fatoux, IRSN
Quelle est la situation de Gravelines par rapport aux risques d’inondation ?
La centrale est située en bordure de la Mer du Nord. À la conception, la plateforme de la centrale a été calée à un niveau supérieur à la cote majorée de sécurité (CMS). En 1979, à la suite de la réévaluation de la CMS, des dispositifs anti-inondations ont été mis en place le long du canal d’amenée. La CMS a été réévaluée en 1997 à un niveau légèrement inférieur et la revue REX Blayais a confirmé cette valeur, applicable à ce jour.
À quelles modifications a conduit la démarche REX Blayais ?
Il a été décidé d’adopter une marge de 20 cm supplémentaire pour le dimensionnement des protections physiques. Le muret bordant le canal d’amenée a été surélevé. Des protections ajoutées au niveau de l’accès est.
D’autres modifications ont-elles été entreprises ?
Oui, à la suite de la prise en compte de nouveaux aléas. L’aléa “pluie régulière continue”, associé à un niveau de la mer élevé, pourrait conduire à des débordements des stations de relevage du réseau d’égouts. Des modifications ont été réalisées pour permettre le fonctionnement de ces stations quel que soit le niveau de la mer. Les matériels importants pour la sûreté des réacteurs sont dans des locaux étanches. La conduite à tenir par les opérateurs en cas d’inondation externe a été définie dans un document spécifique.
AILLEURS - La centrale de Sainte Lucie, en Floride
Le 9 janvier 2014, le réacteur n° 1 de la centrale de Sainte Lucie, aux États-Unis, fonctionnait à 100 % de sa puissance quand le site a fait face à des pluies exceptionnelles. Ces précipitations ne dépassaient pas les valeurs retenues à la conception des installations, mais le système de drainage des eaux pluviales était dégradé. L’eau a pénétré dans le bâtiment des auxiliaires nucléaires par deux conduits endommagés. Ces derniers n’étaient pas conçus pour faire face à une inondation. L’inondation a affecté l’ECCS – le système d’injection de sécurité dans le circuit primaire pour refroidir le cœur. Les opérateurs ont évacué l’eau par un système d’exhaure hors du bâtiment sans qu’il y ait de conséquence réelle pour la sûreté. Un examen a révélé quatre autres conduits non équipés de protection, défauts non mis en évidence par l’inspection deux ans auparavant. Des mesures correctives ont été réalisées depuis. Les enseignements de cet épisode complètent ceux de Fukushima dans le cadre de la révision du “Guide d’évaluation contre les inondations externes”, menée par la Commission de régulation nucléaire des États-Unis (US.NRC).
INFOGRAPHIE - Ce qui a changé à la centrale du Blayais depuis 1999
Depuis l'inondation en 1999, une série de moyens oont été mis en place pour accroître la robustesse des installations. Ils ont été complétés après l'accident de Fukushima en 2011 pour faire face à des situations extrêmes : séisme, inondation, tornades.
Article publié en octobre 2015