Sûreté du transport : un suivi au long cours

Quelque 300 000 colis de produits radioactifs destinés au secteur médical circulent chaque année en France. Expertises techniques, avis, inspections… sont réalisés pour assurer la sûreté des transports.

Le colis Agnès peut être utilisé lors de la production des médicaments radiopharmaceutiques. Aurélie Merle-Széréméta (à gauche) et Bich Thuy Nguyen (à droite), expertes en sûreté des transports, commentent le plan de ce château de plomb. - © Florence Brochoire/Signatures/Médiathèque IRSN

En à peine cent-neuf minutes, la moitié des atomes de fluor 18 – le médicament radiopharmaceutique le plus utilisé en médecine nucléaire – se désintègrent naturellement. Cette courte demi-vie1, caractéristique de la plupart des matières radioactives utilisées en santé, explique le nombre élevé de transports associés.
Une quinzaine d’experts de l’Institut contribuent à leur sûreté.

Trois colis, trois risques

« Les colis sont majoritairement qualifiés “d’exceptés”. Leur faible concentration d’activité ne nécessite pas des mesures de protection spécifiques durant leur transport », expose Bich Thuy Nguyen, en charge de l’expertise des emballages de transport de matières radioactives. Un tiers sont de type A – radioactivité moyenne – et résistent à des conditions normales de transport.
Les colis de type B (la troisième classe) représentent moins de 1 % des acheminements. Ils convoient les cibles de forte radioactivité en uranium 235 irradié, destinées à la production de radio-isotopes (voir infographie ci-contre). Cette classe est par conséquent très sécurisée et conçue pour résister à un accident de transport. Pesant plusieurs tonnes, ces conteneurs assurent la radioprotection – des travailleurs, du public, de l’environnement – et le confinement des radioéléments. « Cette étape fait l’objet d’une attention particulière de l’IRSN. Lorsqu’elle avait lieu en France, il suivait des déplacements en temps réel, car l’uranium entre dans la composition de l’arme nucléaire [voir webmag]. À chaque modification du colis, ou tous les cinq ans, il expertise la demande d’agrément du modèle, en appui du dossier remis à l’Autorité de sûreté nucléaire [ASN] », précise Aurélie Merle-Széréméta, experte en sûreté des transports.

Des écarts sont analysés

Mis au point dans les années 1990, le modèle de colis « Agnès » est agréé pour le transport routier de cibles d’uranium. Il a connu des évolutions successives.
Le dernier changement majeur concerne ses capots amortisseurs, remplacés en 2015. À chaque extrémité du colis, ces caissons métalliques, qui sont remplis de matériaux déformables, en l’occurrence des blocs de bois, amortissent les chocs en cas d’accident « Pour valider ce type de modifications, le dossier de sûreté du requérant doit spécifier des données, telles les caractéristiques mécaniques, la densité et le taux d’humidité du bois. Celles-ci conditionnent la capacité des capots à préserver l’intégrité du colis en cas de choc », explique l’experte. Ce dossier du requérant fournit les déformations et les contraintes dans le colis en cas d’accident. Celles-ci sont issues de simulations numériques. En 2015, une inspection par l’ASN fait suite à la demande d’agrément du requérant. Elle montre des écarts entre les propriétés des blocs de bois spécifiés dans le dossier et les mesures réalisées lors d’essais.
Début 2016, l’Institut expertise de nouveaux essais de l’industriel portant sur les caractéristiques du bois et la tenue mécanique du colis. « À l’aide de simulations numériques, il a analysé les conséquences des écarts constatés lors de l’inspection sur le comportement mécanique du colis soumis aux épreuves réglementaires2 de chutes [voir webmag] », relate Aurélie Merle-Széréméta. Un premier avis, mi-2016, stipule que cette analyse ne permet pas de conclure. En cause, une modélisation trop simplifiée du comportement du bois. Ce matériau est alors considéré non conforme. Un an plus tard, un complément d’étude du requérant réalisé à l’aide d’un nouveau modèle prédictif démontre que la nature du bois utilisé n’influence pas la tenue mécanique du colis.
« En juin 2018, l’avis de l’IRSN est favorable à l’utilisation des nouveaux capots. Il est assorti de recommandations, destinées à améliorer la sûreté de transport du colis Agnès », rapporte l’experte.
En France, la livraison aux centres de médecine nucléaire n’est pas soumise à une autorisation. Elle est cependant surveillée. « Les conséquences en termes de sûreté sont très limitées avec un colis excepté ou de type A. Mais en raison du grand nombre de ces acheminements, l’ASN effectue ponctuellement des inspections », spécifie Bich Thuy Nguyen.    

Fiabiliser l’arrimage

Le transport connaît une vingtaine d’incidents par année : documents mal renseignés, dépassement du débit de dose3 après une erreur de manutention…
La disparition d’un colis est exceptionnelle. Un tel incident est survenu à Nîmes (Gard). Le 19 novembre 2012, l’entreprise Cis bio expédie vers le CHU de la ville une caisse métallique contenant du fluor 18. Sept minutes après le départ de la camionnette de livraison, le chauffeur indique que la porte arrière est ouverte et que le chargement n’est plus à bord. Un automobiliste l’aperçoit au niveau d’un rond-point et prévient la police. Malgré ce signalement précoce, il ne sera jamais retrouvé. L’enquête diligentée par l’ASN met en cause le transporteur qui n’a pas arrimé le colis dans le véhicule. Cet incident – classé 2 sur 7 sur l’échelle Ines4 – met en évidence un défaut de culture de sûreté. Il inspirera un guide sur l’arrimage, co-écrit avec l’IRSN. Depuis, le contrôle de l’arrimage est un point d’attention des inspections.

1. Temps nécessaire pour que la moitié des atomes se désintègrent naturellement.
2. Chute d’un mètre sur une cible indéformable, suivie d’une chute de neuf mètres sur une cible indéformable et d’un mètre avec l’impact sur poinçon.
3. L'IRSN peut contrôler le débit de dose au contact du colis et à son voisinage immédiat.
4. Échelle internationale de gravité des événements nucléaires et radiologiques.


INFOGRAPHIE - Fabriquer un médicament radiopharmaceutique : quelles mesures de sûreté autour du transport ?

L'élaboration des médicaments radiopharmaceutiques comporte plusieurs étapes et nécessite des transports entre divers lieux de fabrication. Des régles de sûreté s'appliquent aux colis pendant l'acheminement. Exemple d'un produit utilisé en diagnostic : le générateur de technétium 99. 

© Art Presse/ABG Communication/Médiathèques IRSN/Magazine Repères

Pour en savoir plus

Guide ASN : arrimage des colis, matières ou objets radioactifs en vue de leur transport www.asn.fr



Article publié en novembre 2021