Stockage géologique des déchets radioactifs : les questions de la société civile
La prise en compte par l’Institut des préoccupations de la société civile lors de l’expertise du projet Cigéo d’enfouissement des déchets radioactifs de manière à la rendre plus robuste : c’est l’un des objectifs de la deuxième journée de dialogue à laquelle participent acteurs du nucléaire et société civile. Pour cette dernière, c’est l’occasion d’acquérir des compétences afin de participer au processus de décision publique. Retour sur ce temps d’échanges et sur les réponses apportées.
1. À quoi sert cette journée de dialogue technique ?
Fin juin 2023 à Paris, des membres de la société civile participent à la deuxième journée de dialogue autour de l’expertise scientifique et technique par l’IRSN du dossier de demande d’autorisation de création de Cigéo (Centre industriel de stockage géologique). Elle est organisée par l’Anccli1, le Clis2 du laboratoire de Bure (Meuse) et l’IRSN. Une quarantaine de personnes de la société civile et une dizaine d’experts de l’Institut y participent. Mené par l’Andra3, ce projet industriel concerne le stockage en couche géologique profonde, sur un territoire entre la Meuse et la Haute-Marne, des déchets radioactifs les plus nocifs : les déchets HA (haute activité) et MA-VL (moyenne activité à vie longue). Actuellement en phase de demande d’autorisation de création (DAC), le démarrage de Cigéo pourrait intervenir en 2027-2028, si toutes les autorisations sont délivrées. Dans cette hypothèse, la mise en service – c’est-à-dire l’introduction du premier colis de déchets – est estimée pour 2035-2040.
Le projet suscite de nombreuses questions des représentants de la société civile, notamment liées à la sûreté. « Avoir cet espace de dialogue où nous pouvons poser des questions à l’ensemble des acteurs de la filière – exploitant, expert public, autorité de sûreté… – et recevoir des explications techniques est très rassurant », souligne Yveline Druez, membre des CLI4 de la Manche (EDF Flamanville, Orano La Hague et CSM Andra) et ancienne maire de la Hague. « Cela nous permet vraiment de ne pas rester avec nos doutes, nos interrogations, voire nos peurs », renchérit-elle.
2. Quel est l’intérêt pour la société civile d’y participer ?
« Ces journées nous permettent de relayer les questions des habitants concernés par le projet et de leur apporter ensuite des réponses. Aujourd’hui, c’est la population environnante du projet Cigéo qui s’interroge le plus », insiste Denis Stolf, vice-président du Clis du laboratoire de Bure. Lors des échanges, le dialogue est respectueux et tempéré. Aucune question n’est écartée et chacun des experts interrogés prend effectivement le temps de répondre aux préoccupations du public, dans un climat de confiance mutuelle. « Je viens assister à ces journées autant pour apprendre et comprendre que pour pousser l’IRSN à aller plus loin dans sa réflexion, souligne Guillaume Blavette, militant pour France Nature Environnement (FNE). À travers ces échanges, l’IRSN explicite ses positions vis-à-vis de l’état d’avancement de la démonstration de sûreté, des incertitudes résiduelles. Au-delà des querelles partisanes sur le nucléaire, il y a une confiance réciproque et une préoccupation commune qui émane : la sûreté des futures installations. »
3. Quelles sont les principales préoccupations du public ?
Stabilité des couches géologiques profondes, sécurisation des colis de déchets radioactifs, corrosion des aciers, dispositifs de sécurité en cas de problème… Les préoccupations sont variées autour du projet Cigéo. Lors de cette journée, des questions concernent les colis de déchets radioactifs. « Ce projet va être exploité pendant plus de cent ans. Si l’un des colis de déchets n’est pas parfait et qu’il pose des problèmes de sécurité, comment fait-on a posteriori pour l’extraire du sous-sol ? », s’interroge Bernard Laponche, ingénieur polytechnicien et membre de l’association Global Chance.
4. Les réponses apportées sont-elles à la hauteur des enjeux ?
« Les présentations faites sont claires et limpides. Il y a un vrai effort de vulgarisation tout en restant à un haut niveau scientifique », s’enthousiasme Yveline Druez. « Sur un sujet comme celui-ci, je ne voudrais pas que mes petits-enfants me disent dans trente ans que nous avons joué aux apprentis sorciers. Et cet espace de dialogue nous permet vraiment de prendre le temps de poser nos questions et d’avoir les réponses argumentées de l’IRSN », renchérit Yveline Druez. Guillaume Blavette, lui, est plus circonspect : « Sur certains sujets, nous n’apprenons pas grand-chose et nous ne sommes pas convaincus des réponses apportées. Sur la géologie, par exemple, l’une des problématiques les plus inquiétantes selon moi est qu’on ne sait pas comment le changement climatique pourrait modifier la sismicité. » Et sur ce point, les réponses apportées ne lui semblent pas toujours à la hauteur. « J’aimerais parfois avoir des experts qui me disent : “Nous ne savons pas”… »
5. Pourquoi d’autres journées comme celle-ci à l’avenir ?
« C’est un dialogue au long cours. Et pour certaines questions abordées aujourd’hui, nous aurons des réponses lors de la prochaine journée d’échanges ou à la suivante », rappelle Denis Stolf. Le sujet est complexe et touche effectivement des domaines bien plus larges que le nucléaire, comme l’acceptabilité des populations, l’impact sur la santé des riverains, l’hydrogéologie… « Sur des sujets aussi techniques, la continuité du dialogue dans la durée est indispensable pour s’approprier les dossiers et aller vers une transparence maximale », souligne Julien Dewoghelaere, expert qualifié au sein du réseau Nuclear Transparency Watch (NTW). « Quand je vois le niveau des questions aujourd’hui, je me dis que cela fonctionne et permet véritablement une montée en compétences des personnes participantes », se réjouit-il. « Que l’on soit pro- ou anti-nucléaire, peu importe. Notre seule préoccupation en participant à ces journées, c’est la sûreté », ajoute Guillaume Blavette. « Nous allons donc continuer dans les années à venir à poser toutes les questions que nous avons afin qu’il y ait une instruction maximale du dossier et que toutes nos inquiétudes, fondées ou non, trouvent une réponse. »
1. Association nationale des comités et commissions locales d’information
2. Comité local d’information et de suivi
3. Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs
4. Commissions locales d’information
Reportage photo : © Sophie Brändström/Signatures/Médiathèque IRSN
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Article publié en juillet 2024