Les thèses à l’IRSN : de l’atome à la Lune, la science avance

Étape obligatoire de la formation des jeunes chercheurs, la thèse est une opportunité pour mener des projets scientifiques prometteurs et réaliser des avancées concrètes. Récit de trois doctorats menés à l’Institut. Leurs résultats font bouger les lignes. 

A gauche : Elif Oral (à gauche) a été récompensée pour sa thèse sur la propagation des ondes sismiques - © Arnaud Caillou/L’œil témoin. A droite : Pierre-Yves Meslin, lors de sa thèse, devant le banc expérimental dédié à la métrologie du radon - © Olivier Seignette/Mikaël Lafontan/Médiathèque IRSN.

En 2023, l’instrument de mesure français DORN s’envole pour une mission lunaire. Une première. Il embarque à bord de la sonde spatiale chinoise Chang’e 6. Sa mission : y étudier le radon, un gaz radioactif. Conçu par Pierre-Yves Meslin au cours de sa thèse à l’IRSN entre 2005 et 2008, il a été sélectionné lors d’un appel d’offres du Centre national d’études spatiales (Cnes) et de l’agence spatiale chinoise.  
Chaque année, l’Institut fournit l’encadrement et les moyens à une trentaine de thèses, en radioprotection et en sûreté. Une politique fructueuse : en trois ans, le doctorant fait progresser les connaissances, prépare son avenir professionnel et contribue au rayonnement scientifique de l’établissement (lire l'interview). Le parcours de Pierre-Yves Meslin en est un bel exemple. Peu banal de surcroît, car c’est Mars que DORN – pas encore baptisé ainsi – devait explorer initialement ! Lors de son doctorat, le scientifique cherche à savoir s’il y a du radon sur la planète rouge. Il fait parler les données non exploitées d’instruments de la Nasa et conçoit un « détecteur de radon ». « J’ai obtenu plusieurs preuves de la présence de ce gaz sur Mars », raconte-t-il. Sa découverte inaugure un champ de recherche dans l’exploration martienne. Cela lui vaut le prix Le Monde de la recherche universitaire en 2009.
Ce travail intéresse les planétologues et rejoint les questionnements de l’Institut en radioprotection : transfert des radionucléides dans les sols et milieux poreux, circulation de l’aérosol atmosphérique et cartographie des émanations du radon. 
Depuis, l’instrument a changé de trajectoire. « Le détecteur conçu pour Mars n’a jamais pu y aller. J’ai imaginé une version adaptée à la Lune », résume le scientifique. DORN est né. Sa thèse a ouvert des perspectives grâce à sa pluridisciplinarité : planétologie, géophysique, etc. Après deux post-doctorats à Jussieu (Paris), il poursuit sa carrière à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (Irap) de Toulouse (Haute-Garonne).
Rien d’illogique pour son tuteur de doctorat, Jean-Christophe Sabroux : « Le prolongement d’une thèse dans un domaine éloigné – la planétologie – montre qu’un doctorat à l’IRSN ne réduit pas l’avenir professionnel au seul secteur nucléaire. »

Objectif pôle sud de la Lune en 2023 pour Pierre-Yves Meslin. - © Nasa

Croiser les savoirs  

La pluridisciplinarité est au coeur d’un autre doctorat marquant. Cette fois, la sismologie et la modélisation numérique se conjuguent pour faire avancer la sûreté.
Entre 2013 et 2016, Elif Oral étudie la propagation des ondes sismiques dans des bassins sédimentaires, dont la géométrie complexe amplifie et allonge la durée des secousses, phénomènes dénommés « effets de site ». Elle analyse des données sismologiques issues de sites américains (Californie), grecs (Volvi) et japonais (Kushiro, Onahama) et travaille sur un bassin hypothétique, représentatif de Grenoble ou de Los Angeles, par exemple. But : mieux évaluer l’aléa sismique, en tenant compte des spécificités géologiques locales. Les enjeux de protection civile et sûreté nucléaire sont importants, car plusieurs villes – Grenoble, Tokyo, Los Angeles – et certaines centrales sont construites sur ce type de sol.
Pour mieux prendre en compte ces situations, la chercheuse développe un outil numérique. Il résout la propagation des ondes dans de tels milieux et intègre l’effet de surpression de l’eau dans le sol. « Pour la première fois, nous avons implémenté la prédiction du mouvement sismique en milieu complexe et non linéaire », observe le sismologue Luis Fabian Bonilla, son directeur de thèse.  
Elif Oral se souvient avoir été soutenue. « Des chercheurs d’autres disciplines, ingénieurs, géologues, m’aidaient. » Elle participe à des conférences en France et en Europe. Aujourd’hui, elle envisage un post-doctorat aux États-Unis. 

Une centaine de doctorants 

D’autres thèses en sûreté ont permis des avancées. Entre 2011 et 2014, Alice Dufresne s’intéresse à un des phénomènes physiques fragilisant les gaines en alliage de zirconium qui entourent les pastilles de combustible au cœur du réacteur.
« Jusqu’à ma thèse, le processus était peu connu au niveau atomique », raconte-t-elle. Pendant trois années, elle modélise les hydrures de zirconium à cette échelle et étudie comment divers facteurs extérieurs – température, contraintes mécaniques, etc. – influencent ce phénomène. Un travail poursuivi depuis par d’autres doctorants. Sa formation par la recherche est un tremplin : elle a depuis rejoint l’Agence pour l’énergie nucléaire (AEN) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).  

Que les jeunes chercheurs poursuivent ou non leur carrière scientifique après la thèse, leur passage à l’Institut influence leur parcours. Les occasions de s’ouvrir à d’autres disciplines ou perspectives ne manquent pas, telles les journées des thèses. « Chaque année, une centaine de doctorants oeuvre dans nos laboratoires en sciences du vivant, génie civil, mathématiques ou encore sciences de l’ingénieur », précise Céline Dinocourt, chargée de mission formation par la recherche. Autant d’opportunités de faire avancer les connaissances. 


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3 QUESTIONS À… Agnès François, chercheuse et tutrice

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En quoi les thésards font-ils avancer la recherche à l’IRSN ? 

Les doctorants contribuent au fonctionnement de nos laboratoires et à l’avancement de nos recherches. En 2015, le Laboratoire de radiobiologie des expositions médicales a acheté un équipement d’irradiation dédié au petit animal (Sarrp*). Physicienne, Morgane Dos Santos a mis en place un modèle d’irradiation du poumon. Une doctorante l’a utilisé en premier pour évaluer les lésions post-irradiation. Ses résultats nous permettent de construire de nouveaux projets, avec les bons modèles en termes de dose de rayonnements ou de temps d’observation. 

En quoi consiste l’encadrement ? 

Une thèse est bénéfique au laboratoire et aux doctorants. Il est capital de les encadrer et de les impliquer au sein de l’équipe. Au laboratoire, je partage des manipulations avec eux et fixe des réunions pour suivre l’avancement du travail. Être à leurs côtés au quotidien facilite le dialogue, ils évoquent leurs difficultés. Cette relation humaine, importante, mérite autant d’attention que des résultats scientifiques ! 

Qu’est-ce que cela vous apporte ? 

Voir les projets avancer et le doctorant soutenir est une fierté. Certes, l’encadrement fait partie de mon travail, mais c’est plus qu’une mission. Il ouvre des réflexions, des questions… J’apprécie le volet formation, conséquent en première année. Par la suite, le thésard évolue, prend ses décisions… C’est un passage de flambeau.

* Small animal radiation research platform, irsn.fr/SARRP 


AILLEURS - États-Unis : une autre culture du doctorat ?

En 2018, le National Cancer Institute a soutenu la formation de plus de 3400 étudiants et jeunes scientifiques - © National Cancer Institute, NIH

En 2019, Marie-Odile Bernier, médecin spécialiste de radioprotection à l’Institut, passe huit mois au National Cancer Institute à Washington (États-Unis). Au sein d’un service d’épidémiologie, un constat la frappe : il y a moins de doctorants que de post-doctorants. « Ils préfèrent les post-docs. Ils ont besoin de “bras”. Pendant mon séjour, j’ai vu seulement une doctorante », observe-t-elle. L’épidémiologiste précise que son expérience n’est peut-être pas représentative. Néanmoins, la culture de la recherche outre-Atlantique lui semble différente. « Les Américains ont une façon singulière de procéder : chacun travaille seul, puis les collègues commentent. En France, c’est l’inverse, les résultats sont d’emblée analysés en équipe. » Ces observations tranchent avec le fonctionnement de l’IRSN, qui compte un grand nombre de doctorants et où la formation tient une place centrale. « Cette richesse frappe particulièrement lors des journées des thèses, où sont abordés de nombreux sujets, toutes disciplines confondues », souligne-t-elle. 


INTERVIEW - La thèse est une occasion de nouer des partenariats

+25% C’est l’évolution des moyens que consacre l’IRSN à la formation à et par la recherche entre 2015 et 2022*. Cela traduit l’importance accordée aux doctorants et post-doctorants. « Les thèses et post-docs sont une composante majeure de notre politique scientifique, indique Didier Gay, délégué aux affaires scientifiques. Ils constituent un cadre privilégié pour explorer de nouveaux champs de connaissances et approfondir des partenariats. Ils sont le fer de lance de notre recherche. » Les diverses propositions de thèses 2020 le montrent. En toxicologie, les approches basées sur le concept d’AOP (Adverse outcome pathways) montent en puissance. Le principe est de déceler les premières perturbations biologiques associées à une exposition et de suivre les évènements conduisant à un effet délétère sur l’organisme. D’autres tendances fortes se confirment : le développement de travaux reposant sur l’analyse de données massives – le big data – et l’intelligence artificielle. Renforcer son implication dans la formation doctorale est un moyen pour l’établissement de conforter son statut d’organisme de recherche et son insertion dans la communauté académique. « 40 % de nos moyens sont consacrés à la recherche. Pourtant, dans l’image collective, l’Institut est encore souvent réduit à son activité d’expertise, constate Didier Gay. Nos sujets de recherche ont fréquemment une portée dépassant le strict champ du nucléaire. Ils gagneraient à s’inscrire dans des collaborations élargies. » Les thèses constituent justement un pont vers le monde académique. Elles renforcent les partenariats avec les grands organismes nationaux de recherche : le CNRS en premier lieu et les regroupements universitaires sur les territoires d’implantation des équipes de recherche de l’Institut.  

* Alors qu’ils représentaient il y a cinq ans 88 ETPT (Équivalent temps plein annuel travaillé), les effectifs non permanents consacrés à la recherche atteignent désormais 102,1 ETPT et s’établiront à 108,9 ETPT en 2022. 


INFOGRAPHIE - Doctorat à l’IRSN : les étapes-clés du parcours

Une thèse, c’est trois années de formation à la recherche et un tremplin pour l’avenir. Comment l’IRSN accompagne-t-il ses doctorants ? Les étapes-clés de ce parcours et les dispositifs mis en place.


Pour en savoir plus

Les thèses à l’IRSN, irsn.fr Contact : Sandrine.marano@irsn.fr 


Article publié en novembre 2020