Frédérique Eyrolle-Boyer
Laboratoire de recherche sur les transferts dans l’environnement
frederique.eyrolle-boyer@irsn.fr
L’analyse de sédiments prélevés dans les berges de la Loire a montré la présence de plutonium à des niveaux attestant d’un apport d’origine industrielle. Des scientifiques ont fait le lien avec les accidents survenus à la centrale de Saint-Laurent-des-eaux (Loir-et-Cher). Comment s’effectuent le prélèvement et l’analyse ? À quoi serviront ces résultats ?
Cécile Grosbois est enseignante-chercheuse au laboratoire GéoHydrosystèmes continentaux (Géhco) à l’Université François-Rabelais de Tours (Indre-et-Loire). Elle a apporté ses connaissances scientifiques pour le choix du site de carottage et participé sur le terrain et au laboratoire à sa réalisation.
“Géochimiste, j’ai réalisé de nombreux carottages depuis que je travaille au laboratoire GéoHydrosytèmes continentaux (Gehco) de l’Université. Chacun est particulier. L’analyse des carottes sur quelques mètres permet de reconstruire l’historique et les sources des contaminants dans les systèmes fluviaux : produits chimiques – plomb ou mercure, par exemple – et radionucléides – isotopes du plutonium, tritium, carbone 14. Cela nécessite des repérages préalables sur le terrain. Chaque fleuve a ses spécificités, son propre comportement hydrosédimentaire. La Loire moyenne est très sableuse, contrairement à la Seine qui charrie moins de particules. Il est parfois difficile de trouver le bon endroit. Dans cette étude, le site de Montjean-sur-Loire (Maine-et-Loire) avait déjà été utilisé en 2009 pour l’archivage des métaux. Il est situé en aval des cinq centrales du bassin de la Loire : Saint-Laurent, Chinon, Civaux, Dampierre et Belleville. Il était bien placé pour l’archivage des radionucléides. Ces travaux sont réalisés en collaboration avec l’IRSN, qui s’est chargé de l’analyse des radionucléides.
Les contraintes du choix d’un site
Comme pour tous les contaminants, il faut repérer une zone où l’accumulation de sédiments est la plus régulière possible et pas trop perturbée par l’érosion. Le site doit être exempt de toute modification : sans labour de champ ni construction de maisons…
Il existe deux techniques de carottage pour un fleuve : sous tranche d’eau ou à terre, comme celle réalisée à Montjean-sur-Loire. Cette dernière est plus simple à mettre en œuvre. Nous avons pris des précautions lors de ce carottage pour ne pas contaminer les échantillons. Seuls les liners – tubes – introduits dans le carottier sont en contact direct avec les sédiments.”
Afin de rechercher la trace des rejets anciens en radionucléides, une archive sédimentaire a été prélevée à Montjean-sur-Loire (Maine-et-Loire), en aval des centrales du bassin de la Loire. Voici les principales étapes d’échantillonnage et d’analyses.
“Les archives sédimentaires permettent d’identifier des anomalies et de les quantifier, de manière rétrospective. Ce sont des objets précieux, à partager au sein de la communauté scientifique qui s’intéresse à l’impact environnemental des métaux, des substances organiques, radioactives… Les rejets de radionucléides qui n’avaient pas été répertoriés peuvent être détectés.
À partir des données, l’impact radiologique pour le public potentiellement exposé – via l’eau de boisson, l’irrigation ou l’abreuvement conduisant à la production alimentaire – peut être estimé. Cela aide à évaluer l’exposition de travailleurs tels ceux des stations d’épuration ou ceux réalisant des dragages de sédiments.
Elle apporte des réponses aux citoyens : quels sont les risques pour la santé de boire l’eau ou de consommer les produits de la pêche locale en Loire aval ? Dans le cas de Montjean-sur-Loire, la note, rendue publique, va alimenter l’enquête administrative en cours du ministère de l’Environnement.
Cette approche a permis à l’IRSN de concevoir le projet Archéo, qui contribuera à reconstruire l’histoire de l’impact radiologique environnemental de l’industrie nucléaire en France. Il analysera les archives sédimentaires de tous les grands fleuves nucléarisés : Loire, Rhône, Rhin, Garonne, Meuse, Moselle et Seine. Ce projet s’étalera sur plusieurs années.”
Carotte : colonne de sédiments où les différentes couches de sédiments se sont empilées au fil du temps.
Bassin versant : portion de territoire dont l’ensemble des eaux convergent vers un même exutoire ou point de sortie : cours d’eau, mer, océan, etc.
Spectrométrie gamma : elle est utilisée pour doser le césium 137, pour la datation sédimentaire.
Spectrométrie alpha : elle est utilisée pour la recherche d’isotopes de plutonium.
L’analyse des sédiments de la Seine a conduit à une découverte inattendue : des traces de plutonium vieilles de 40 ans. De par leur profondeur, leur concentration et leur nature (238Pu), ces rejets ont pu être datés et reliés à un déversement accidentel, en 1975, de plutonium dans les eaux usées du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) de Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine). Les experts ont rétrospectivement conclu à une absence d’impact sanitaire.
Des traces de plutonium dans la Seine : à lire dans Repères n° 24 p. 16 www.irsn.fr/R24
Seine et Rhône : une surveillance pour répondre aux enjeux locaux www.irsn.fr/surv-seine-rhone
Rejets de plutonium dans la Loire – recherche d’un marquage historique au sein d’une archive sédimentaire collectée le 21 juillet 2015 à Montjean-sur-Loire : www.irsn.fr/plutonium-loire
L’activité radioactive plus ou moins grande du césium 137 permet de dater le vin et donc d’authentifier un millésime.
Laboratoire de recherche sur les transferts dans l’environnement
frederique.eyrolle-boyer@irsn.fr
Article publié en juillet 2016