1999
L’inondation partielle de la centrale du Blayais, en Gironde, pousse l’ensemble des acteurs à réexaminer la protection des autres centrales contre le risque de submersion.
La sûreté est souvent affaire de patience et s’inscrit dans le temps long. En témoigne l’histoire du renforcement de la digue du canal de Donzère-Mondragon, entre Drôme et Vaucluse, qui illustre la nécessité d’un dialogue continu avec l’exploitant.
La ténacité, en matière de sûreté, finit par payer. C’est ce que révèle la saga du renforcement de la digue du canal de Donzère-Mondragon, parallèle au Rhône. Inauguré en 1952, cet ouvrage navigable de plusieurs dizaines de kilomètres abrite d’abord une usine hydroélectrique. Vingt ans plus tard, ses abords sont choisis pour accueillir la centrale nucléaire du Tricastin, qui en utilise l’eau pour refroidir ses installations.
Lors des tempêtes de décembre 1999, l’inondation partielle de la centrale du Blayais, en Gironde, soulève une interrogation : les centrales françaises sont-elles suffisamment protégées contre la submersion ? Qu’une brèche s’ouvre en particulier dans les digues de Donzère-Mondragon, et ce sont des millions de mètres cubes d’eau qui se déverseront dans la plaine du Tricastin, inondant les réacteurs mais aussi d’autres installations liées à la fabrication et à l’exploitation du combustible nucléaire. « En 2008, les experts de l’IRSN insistent pour qu’EDF étudie les 5 kilomètres de digue entre la centrale et la ligne de TGV plus au nord », se souvient l’ingénieur François Tarallo, qui instruira le dossier fourni quelques mois plus tard par l’électricien.
EDF y certifie que les digues sont robustes, y compris en cas de séisme « majoré de sécurité » correspondant au séisme le plus fort historiquement vraisemblable, majoré de 0,5 en magnitude. « À ceci près que dans un numéro spécial de la revue d’ingénieurs La Houille blanche1, daté de 1955, nous découvrons au milieu d’un article qu’un tronçon de digue est réalisé différemment, avec des matériaux plus sablo-graveleux », raconte l’ingénieur. EDF s’engage cette même année à examiner de plus près ce petit tronçon. Le sujet reprend de l’actualité après l’accident de Fukushima, en 2011.
Le niveau de sûreté des centrales est alors relevé d’un cran, en particulier contre les risques sismique et d’inondation, en définissant la notion de « noyau dur » qui identifie les équipements vitaux dont le fonctionnement doit être garanti quoi qu’il arrive. L’ASN somme alors EDF de démontrer que la digue tiendra, y compris pour un séisme de niveau « noyau dur », dépassant de 50 % le séisme majoré de sécurité. L’exploitant sonde la digue en 2013 pour en préciser la composition et s’assurer qu’elle sera stable. « Nous avons regardé leur dossier, et ressorti nos interrogations sur le tronçon de 500 mètres, plus fragile, sur lequel peu de sondages réalisés par EDF existent », explique François Tarallo. L’avis émis en 2015 demande à l’industriel d’examiner davantage ce fameux tronçon. Cela sera fait l’année suivante. Or les sondages révèlent des couches de sable potentiellement liquéfiables. « La digue n’était pas stable en cas de séisme majoré de sécurité, qui était le minimum requis pour la conformité de l’ouvrage », souligne l’ingénieur.
L’ASN exige fin 2017 l’arrêt des quatre réacteurs de la centrale. L’électricien met les bouchées doubles pour renforcer au plus vite la digue, en y rajoutant de la terre. En trois à quatre mois, un élargissement provisoire garantit la tenue à un séisme majoré de sécurité. Les réacteurs redémarrent.
Il reste à démontrer que cette digue supportera un séisme de niveau « noyau dur », celui dont les accélérations sont augmentées de 50 % pour prendre en compte les enseignements de l’accident de Fukushima. EDF présente en 2020 à l’IRSN un projet de confortement plus important, comportant notamment un renforcement des matériaux de la digue en profondeur. « Nous confirmons l’année suivante, au vu du dossier global, que la digue serait désormais stable en cas de séisme de niveau “noyau dur” », ajoute François Tarallo. Ce que stipulera un dernier avis1 émis après l’achèvement des travaux. Ceux-ci consolident au passage les abords de canalisations des installations d’Orano, qui pourraient en cas de rupture fragiliser cette digue. « Nous avons enfin insisté sur la nécessité d’un programme continu de surveillance. Parce qu’une digue en terre doit être inspectée toutes les deux ou trois semaines, pour vérifier son état général et l’absence de début d’érosions », ajoute l’ingénieur, qui considère aujourd’hui ce dossier achevé.
1. Avis IRSN n° 2021-00124 du 7 juillet 2021
L’inondation partielle de la centrale du Blayais, en Gironde, pousse l’ensemble des acteurs à réexaminer la protection des autres centrales contre le risque de submersion.
L’accident de Fukushima Daiichi, causé par un tsunami, relève les exigences de sûreté et accélère le contrôle de la digue de Donzère-Mondragon.
Digues du canal de Donzère-Mondragon, (GT Cligeet, janvier 2022) (diaporama fourni par François Tarallo).
Repères 26 : inondation du Blayais
Pour la Science x IRSN : https://www.pourlascience.fr/sr/article-partenaire/comment-reduire-le-risque-de-submersion-marine-des-centrales-nucleaires-24785.php
Article publié en avril 2024