Radiothérapie : explorer les effets sur la tumeur et les tissus sains

La radiothérapie vise à détruire les cellules cancéreuses. Mais elle peut aussi endommager les tissus sains dans la zone de traitement. Lancé conjointement par Gustave Roussy et l’IRSN, le nouveau programme de recherche Piratt étudie ces effets délétères.

 À Gustave Roussy, 4 000 traitements de radiothérapie sont effectués chaque année. - © Gustave Roussy.

La radiothérapie est utilisée chez plus d’un patient sur deux atteint de cancer en France, soit chez plus de 200 000 patients par an. Son but est de délivrer des doses d’irradiation élevées, nécessaires au bon contrôle de la tumeur, en évitant au mieux les tissus sains environnants. La balance bénéfice-risque est un enjeu essentiel pour le patient. Elle est au cœur des préoccupations des radiothérapeutes et des chercheurs radiobiologistes de l’institut Gustave Roussy à Villejuif (Val-de-Marne) et de l’IRSN.
Issu d’une volonté conjointe de réunir les compétences de chaque institut, le projet Piratt (Projet intégré de recherche préclinique sur la radiobiologie des tumeurs et des tissus sains) est initié en 2018. 
Ce partenariat est consolidé en janvier 2021 par la signature d’un accord-cadre entre les directions des deux instituts et pour une durée de cinq ans. Gustave Roussy est considéré comme l’un des meilleurs hôpitaux spécialisés en cancérologie au monde. Il est à la pointe de la radiothérapie clinique – avec 4 000 traitements de ce type effectués chaque année – et de la recherche préclinique, notamment sur les associations radiothérapie-immunothérapie-thérapies ciblées.

La réponse des tissus sains 

Une des ambitions de Piratt est de mettre en place une recherche collaborative innovante, en phase avec l’évolution des techniques et des pratiques de radiothérapie modernes et des enjeux de radioprotection des tissus sains. Ce travail collectif privilégié implique, côté IRSN, les chercheurs du Laboratoire de radiobiologie des expositions médicales (LREM), dirigé par Fabien Milliat. En face se trouvent les médecins et chercheurs du département de radiothérapie et de l’unité Inserm UMR 1030, Radiothérapie moléculaire et innovation thérapeutique, que dirige Éric Deutsch, oncologue radiothérapeute. 
À travers le partage et l’échange de méthodes et d’outils, ainsi qu’une culture commune de concepts en radiobiologie, un des enjeux de Piratt consiste à travailler en commun autour de cinq thèmes majeurs, d’intérêt pour les deux instituts dans les prochaines années. Ils vont étudier la réponse des tumeurs et des tissus sains aux doses ablatives – fortes doses délivrées en une fraction unique ou en quelques fractions – pouvant enlever les tissus touchés. Ils vont explorer les nouvelles approches thérapeutiques et le rôle des microorganismes du tractus digestif dans la toxicité digestive. De plus, ils étudieront la radiorésistance et la radiosensibilité des tumeurs et des tissus sains grâce à de nouvelles mesures d’efficacité biologique relative (EBR) (lire p. 8). Piratt inclut des aspects précliniques et cliniques de l’ostéo-radionécrose, cette complication sévère de la radiothérapie liée à un défaut de cicatrisation du tissu osseux. 
Enfin, il s’intéressera à l’imagerie et à la radiomique1 préclinique. 
Des réponses conjointes à des appels d’offres nationaux et internationaux permettent aux chercheurs de travailler sur ces sujets, en bénéficiant des infrastructures précliniques de pointe des instituts. Cette démarche, initiée il y a quelques années, est désormais fructueuse.  
Plusieurs projets financés par l’Institut national du cancer (Inca) ou le Cancéropôle Île-de-France sont lancés ainsi que de multiples thèses. L’une d’elles étudie le rôle des cellules immunitaires myéloïdes dans le cancer du poumon exposé à des doses ablatives d’irradiation. 

L’immunité impliquée 

Que pourrait être un tel projet commun ? Pendant longtemps, la radiothérapie a été considérée comme simplement toxique pour les cellules : les rayonnements ionisants, en déposant leur énergie dans la matière vivante, provoqueraient exclusivement la mort cellulaire par des cassures de l’ADN irréparables et létales. Aujourd’hui, il est admis qu’elle a d’autres effets biologiques. Complexes et multiples, ils influencent la balance bénéfice-risque de façon importante. La radiothérapie peut par exemple réorienter profondément la réponse immunitaire vis-à-vis de la tumeur. Le système immunitaire est lui-même considéré comme un acteur essentiel de la survenue d’une toxicité aux tissus après l’irradiation, sans que l’on connaisse précisément les mécanismes impliqués. 
Ces effets sur le système immunitaire, tant sur les tumeurs que les tissus sains, dépendent des paramètres liés à l’exposition radiologique. Y contribuent la dose totale délivrée, le volume irradié et la dose par fraction. 
La radiothérapie stéréotaxique est une technique moderne. Sa particularité est qu’elle délivre de fortes doses par fraction – doses dites ablatives – sur des petits volumes. Elle est aujourd’hui en pleine expansion pour traiter des patients atteints de tumeurs cérébrales, hépatiques ou encore pulmonaires. 

Les cellules endothéliales humaines destinées à être irradiées dans un irradiateur à rayons X. - © Francesco Acerbis/Médiathèque IRSN

Mieux comprendre les effets de la radiothérapie stéréotaxique pulmonaire sur le système immunitaire ouvrira plusieurs perspectives. Cela permettra de la combiner de manière optimale avec des agents immunomodulateurs2 pour augmenter le bénéfice thérapeutique. De plus, il faut trouver des moyens pour protéger les tissus sains. Ce thème de Piratt fait aujourd’hui l’objet de projets de recherche collaboratifs soutenus par l’Inca3 et le Cancéropôle Île-de-France4 et de plusieurs thèses5.  

1. Discipline visant à mieux caractériser les tumeurs, basée sur l’analyse d’un grand nombre de données fournies par l’imagerie, afin de les transformer en données numériques. 
2. Un traitement immunomodulateur stimule ou freine les réactions du système immunitaire. 
3. Inca PLBIO « Biologie et sciences du cancer » (2018-2023). 
4. « Rôle des cellules myéloïdes dans le cancer du poumon exposé à des doses ablatives d’irradiation », Projet Emergence (2021-2022), thèse de Marina Millic. 
5. Thèses : « Effet abscopal in situ : modulation spatio-temporelle du micro-environnement immunitaire tumoral après une irradiation tumorale partielle en conditions stéréotaxiques », Paul Bergeron ; « Rôle des macrophages dans le développement des lésions pulmonaires après irradiation stéréotaxique », Sarah Braga-Cohen. 


3 QUESTIONS À… Éric Deutsch

© Gustave Roussy

Quel est l’intérêt d’associer Gustave Roussy et l’IRSN dans le projet Piratt ? 

Nos expertises sont complémentaires. À Gustave Roussy (GR), nous étudions la radiosensibilité des tumeurs et les mécanismes de réponse aux traitements. Les chercheurs de l’Institut travaillent sur la réponse des tissus sains. Ils disposent de plateformes d’irradiation, d’histopathologie. Ils apportent une expertise en épidémiologie, modélisation et dosimétrie biologique. Ce projet leur donne l’opportunité d’interagir avec des praticiens, des biologistes et des physiciens médicaux à l’hôpital qui se posent des questions cliniques. 

Quelles sont les thématiques de recherche communes ? 

Ensemble, nous avons mis en place des modèles d’irradiation des tumeurs des poumons en conditions stéréotaxiques. Ils seront utiles pour évaluer la réponse de la tumeur, des tissus sains et du système immunitaire. 

Quels bénéfices pour les patients ? 

La radiothérapie est le deuxième contributeur à la guérison définitive des malades. Il est nécessaire de comprendre comment elle fonctionne et de connaître l’impact des nouvelles combinaisons de traitements en développement qui l’incluent, par exemple celles l’associant à l’immunothérapie. Piratt a pour objectif d’optimiser à terme les traitements. Il permettra d’évaluer les différentes stratégies thérapeutiques et d’aider les praticiens à prioriser l’une ou l’autre. Ces travaux pourraient déboucher sur la validation de nouvelles approches thérapeutiques. 


AILLEURS - Pourquoi utiliser l’efficacité biologique relative ?

Suivi des lésions pulmonaires (en rouge) par imagerie après une irradiation en conditions stéréotaxiques. Ces modèles précliniques chez la souris serviront à étudier in vivo les effets du fractionnement de la dose - © Morgane Dos Santos et Fabien Milliat/IRSN

Mieux comprendre la différence des réponses des cellules saines et tumorales, afin de mieux prédire la réponse des tumeurs et des tissus sains à une radiothérapie, sont deux thèmes intégrés au projet Piratt (lire p. 6). Pour y parvenir, les chercheurs utilisent le concept d’efficacité biologique relative (EBR).
Celui-ci permet de comparer deux types de rayonnement ou d’exposition conduisant au même effet biologique.  
À ce jour, l’EBR est une valeur empirique, dépendant, entre autres, de l’effet mesuré. Ses mesures étaient fondées sur un ancien paradigme : la radiothérapie aurait un effet sur la mort cellulaire uniquement. Or les répercussions de cette technique sont multiples : activation du système vasculaire, modification de l’expression des gènes, réorientation du système immunitaire... Pour prédire de façon plus réaliste les effets biologiques et leur probabilité d’apparition, il faut développer des mesures à paramètres multiples pour l’EBR. Elles devront tenir compte des préoccupations liées aux nouvelles techniques et pratiques en radiothérapie, telles les modifications de fractionnement ou du débit de dose. 


Pour en savoir plus

« L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire et Gustave Roussy s’unissent pour la recherche préclinique en radiothérapie » https://www.irsn.fr/actualites/linstitut-radioprotection-surete-nucleai…


INFOGRAPHIE - La radiothérapie pulmonaire stéréotaxique : des recherches pour mieux comprendre ses effets

L'irradiation pulmonaire stéréotaxique délivre de fortes doses par fractions de radiations à de minuscules volumes de tissu. Le recours à cette technique très précise progresse depuis plusieurs années. La recherche explore ses effets.

© Art Presse/ABC communication/Médiathèque IRSN/Magazine Repères

Article publié en janvier 2022