40 à 500
Ce sont les facteurs respectifs à 500 de diminution des rejets maritimes des émetteurs alpha et bêta (hors tritium) liés aux opérations de retraitement de La Hague depuis les années 1980.
Le littoral français bénéficie d’une surveillance radiologique continue. L’usine de retraitement de La Hague alimente de nombreuses études : suivi des rejets radioactifs, modélisation des transferts de radionucléides au sein des écosystèmes, mesure des effets sur l’homme et l’environnement... Les modèles et outils développés intègrent aussi les leçons de l’accident de Fukushima Daiichi.
Janvier 2006, le chimiquier Ece fait naufrage au large de La Hague. Mars 2011, un accident survient à la centrale de Fukushima Daiichi. Pour chacune de ces crises, l’Institut estime le risque de pollution et suit la contamination de l’écosystème. Avec ces données, chercheurs et experts optimisent leurs modèles. Objectif : mieux évaluer les répercussions d’une pollution sur l’environnement et la santé humaine. L’accident nucléaire nippon, le seul survenu en milieu marin, est une source de connaissances.
Dès mars 2011, l’IRSN crée la cellule mer. Elle compte six spécialistes de la contamination et des écosystèmes du Laboratoire de radioécologie de Cherbourg-Octeville (LRC, Manche) et de l’antenne méditerranéenne du Laboratoire d’études radioécologiques en milieu continental et marin (LERCM, Bouches-du-Rhône).
Durant quatre ans, l’entité évalue les conséquences de l’accident. « À Fukushima, les retombées atmosphériques et les rejets liquides ont contaminé la mer », évoque radioécologiste Pascal Bailly du Bois, chargé à l’époque à l’IRSN des études de dispersion de la radioactivité en mer. Fin mars, l’eau utilisée pour refroidir le cœur du réacteur, qui a contaminé les eaux de ruissellement, est détectée dans l’océan. À partir du 4 avril, la cellule mer publie une carte « temps réel » de la radioactivité autour de la centrale.
Plusieurs radionucléides sont identifiés. Les principaux sont l’iode 131 et les césiums 137 et 134. « Avant l’accident, les concentrations en césium 137 dans l’eau du littoral japonais étaient de 1 à 3 Bq/m3. Après, elles dépassaient les 30 000 000 Bq/m3 ! Quant à l’iode 131, indétectable avant l’accident, il atteignait fin mars les 180 000 000 Bq/m3, des chiffres inédits en milieu marin », précise Pascal Bailly du Bois.
En adaptant le modèle Mars 3D1, l’IRSN cartographie dès 2011 l’évolution des concentrations en iode 131 et en césium 137. « Elles sont représentatives de tous les radionucléides rejetés au sein d’une zone de 30 x 50 kilomètres autour de la centrale », note le radioécologiste. Alors que l’iode 131 disparaît en quelques semaines, le césium 137 est mesuré à long terme et à grande distance (demi-vie, trente ans). Les scientifiques évaluent le terme source, soit la quantité globale des principales sources de césium 137 rejetées en mer sous forme liquide. Il s’élève de 12 à 41 pétabecquerels. « C’est environ le dixième des rejets atmosphériques de l’accident de Tchernobyl. C’est aussi l’ordre de grandeur de quarante ans de rejets maritimes d’une usine de retraitement », précise le chercheur.
Les côtes de la préfecture de Fukushima sont exposées au courant Kuroshio, l’équivalent pacifique du Gulf Stream. « Cela a favorisé l’export des radionucléides et leur dispersion au centre du Pacifique. Les concentrations mesurées diminuaient vite, divisées par deux tous les 6,9 jours », indique Pascal Bailly du Bois. À la fermeture de la cellule mer, début 2016, les rejets sont moindres. La dilution aidant, les concentrations en radionucléides dans l’eau sont faibles.
La radioactivité de l’eau se propage néanmoins à tout l’écosystème marin, dont les espèces pêchées. « En 2011, les modèles permettaient uniquement de trouver des concentrations moyennes en radionucléides dans les poissons, à partir du niveau de contamination dans l’eau », se souvient Sabine Charmasson, chercheuse océanographe. Or, pour prédire l’évolution de la contamination dans la faune marine à moyen et long terme, il faut tenir compte de son intégration dans les réseaux trophiques2 (lire article ‘Pour protéger le milieu marin, la science avance’).
Pour sa thèse, Mokrane Belharet, spécialiste des environnements marins, modélise le transfert du césium dans les phyto- et zooplancton et dans les poissons vivant dans la colonne d’eau de la côte est du Japon. Le jeune chercheur estime le temps qu’il faut à chaque espèce pour retrouver les concentrations d’activité de césium 137 d’avant l’accident, surtout dues aux tirs atmosphériques. Cette durée est de cinq ans pour les planctivores et de six à quatorze ans pour les carnivores. La pêche au large est toujours surveillée au nord-est du Japon. « Il faut aussi considérer les poissons benthiques, ceux qui rasent le fond. Vivant dans les sédiments, leur contamination reste plus élevée sur le long terme », précise Sabine Charmasson.
En France, nombre d’installations nucléaires sont en bord de mer. Après l’accident nippon, l’IRSN développe l’outil Sterne3. Il détermine en temps réel la dispersion de radionucléides et leur teneur dans les sédiments, comme le vivant. Il est testé dès 2013. L’Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest (Acro) mesure à l’époque un taux élevé de tritium dans l’eau de la baie d’Écalgrain (Manche). Pourquoi ? « Entre 16 et 48 heures après le rejet, la dispersion dépend des marées et des conditions météorologiques, explique Pascal Bailly du Bois. Cette fluctuation hydrodynamique peut faire varier rapidement les concentrations en tritium par rapport aux moyennes, sans impact sanitaire pour autant ».
Avec le projet Amorad, l’IRSN inventorie les zones littorales vulnérables aux contaminations radioactives. Fin 2020, onze fiches sont élaborées. Elles répertorient la nature des fonds marins, les courants, les zones de pêche, d’activités touristiques, les espèces biologiques et celles protégées, etc. « Connaître le fonctionnement hydrodynamique de ces zones et leur sensibilité, est indispensable pour évaluer les conséquences d’une contamination, indique Céline Duffa, chercheuse océanographe, spécialiste des transferts physiques de radionucléides. Ces fiches guideront les décideurs sur les actions prioritaires à mener ».
1. Code développé par l’Ifremer, dédié à la modélisation océanographique côtière a des échelles régionales ou littorales.
2. Ensemble de chaines alimentaires reliées au sein d'un écosystème.
3. Simulation du transport et du transfert d’éléments radioactifs en environnement marin.
Ce sont les facteurs respectifs à 500 de diminution des rejets maritimes des émetteurs alpha et bêta (hors tritium) liés aux opérations de retraitement de La Hague depuis les années 1980.
pétabecquerels, c’est l’ordre de grandeur de la quantité de césium rejeté en mer dans les trois à quatre semaines qui ont suivi l’accident de Fukushima. Une usine de retraitement en rejette autant en environ quarante ans.
prélèvements sont effectués chaque année au titre de la surveillance des façades maritimes métropolitaines : Atlantique, Méditerranée, Manche et Mer du Nord
Adrien Delaval
Trajectoire d'un polluant radioactif - Ma Thèse en connaît un rayon (youtube.com)
Article publié en avril 2021