Comment se comportent les joints en cas d’accident grave ?
Les joints du tampon d’accès matériel (Tam) aident à maintenir l’étanchéité de l’enceinte d’un réacteur. Cette étanchéité est essentielle pour limiter les rejets radioactifs. Grâce aux essais et aux simulations, les experts formulent des recommandations. L’exploitant s’engage à compléter sa démonstration de sûreté.
En février 2022, l’IRSN donne son avis1 sur le comportement, en conditions d’accident grave (AG), des joints du tampon d’accès matériels (Tam) des réacteurs français. « À ce stade, la démonstration d’étanchéité réalisée par l’exploitant n’est acquise pour aucun des Tam des réacteurs du parc en exploitation », résume Alix de La Meslière, experte en génie civil. EDF s’engage à compléter sa démonstration pour juin 2022.
Qu’est-ce qu’un Tam ? D’un diamètre d’environ huit mètres et pouvant mesurer jusqu’à trois mètres et demi de long, ce dispositif est la plus grande traversée – et ouverture – de l’enceinte de confinement sur un bâtiment du réacteur. Il est constitué d’un cylindre métallique – la virole – solidaire du béton de l’enceinte et d’un tampon de fermeture. Ces deux éléments s’assemblent au niveau des brides situées à chacune de leurs extrémités et fonctionnent tels un pot de confiture et son couvercle.
En fonctionnement, les deux brides sont maintenues en contact par un système de fermeture. Mais, il faut davantage pour assurer l’étanchéité du Tam et le confine- ment. C’est à cela que servent deux joints concentriques en silicone, logés dans la gorge d’une des brides. « Pour remplir leur rôle, ces joints doivent être suffisamment com- primés en toute situation, même après avoir subi les effets combinés d’un accident grave : température et pression élevées, irradiation et vapeur d’eau », explique Fabienne Bot Robin, spécialiste du vieillissement des polymères.
Toutes ces contraintes – mais surtout l’irradiation – déforment les joints et dégradent leurs propriétés, notamment leur élasticité. « Tout manque d’étanchéité du Tam conduirait, en situation d’accident, à des rejets de radionucléides dans l’environnement au bout d’un certain temps », précise-t-elle.
Lors du fonctionnement normal, les pressions dans le bâtiment et à l’extérieur sont similaires : il n’y a pas de fuite possible. En cas d’accident, la surpression dans le bâtiment peut conduire à des fuites radioactives. Le niveau de dégradation du joint conditionne alors sa capacité à garantir l’étanchéité.
Pour l’exploitant, l’étanchéité est acquise
L’avis de l’Institut de 2022 concerne les joints en silicone d’un nouveau modèle2 retenu par EDF. Celui-ci vise à résoudre les problèmes des modèles précédents, soulevés par l’IRSN. EDF réalise en 2014 une campagne d’essais en conditions d’AG sur ce modèle de joints. Lors de ces tests, les joints sont dans des maquettes ayant des brides parfaitement planes. En 2020 et 2021, l’exploitant réalise en plus des simulations numériques pour prendre en compte les déformations des brides, mais sans modélisation explicite du joint. À l’issue de ces études, l’industriel conclut que l’étanchéité du Tam est acquise en AG. Et ce, quels que soient le diamètre initial du joint – or, les tolérances dimensionnelles de fabrication sont de +/- 1 millimètre – et son élasticité résiduelle après l’AG.
Démonstration redemandée
Pour vérifier les résultats de l’exploitant, l’IRSN mène entre 2014 et 2020 son propre programme d’essais et de simulations numériques3.
La partie expérimentale étudie la représentativité du vieillissement artificiel accéléré des joints et examine leur capacité à assurer l’étanchéité en conditions d’AG sur des maquettes à échelle réduite. Une vingtaine d’essais sont réalisés dans les installations Epicur et Irma, respectivement à Cadarache (Bouches-du-Rhône) et à Saclay (Essonne). Les spécialistes suivent et mesurent en direct le taux de fuite des joints subissant à la fois une irradiation – entre 70 et 268 kGy –, une température élevée – 150 °C –, une pression jusqu’à 6 bar et l’effet de la vapeur d’eau.
Les simulations évaluent l’étanchéité à l’échelle de l’enceinte. Elles incluent des situations non prises en compte par l’exploitant : une compression inhomogène des brides ou leur écartement local.
Selon ces travaux, l’étanchéité est acquise lors de la phase de montée en tempéra- ture de l’AG jusqu’à 150 °C.
« Mais lors du refroidissement, elle dépend de la capacité de retour élastique du joint. C’est là qu’interviennent la notion de tolérance dimensionnelle et l’état d’écartement des brides », précise Alix de La Meslière.
Conclusion, un risque de non-étanchéité ne peut être écarté pour des joints de petits diamètres4 et/ou lorsque l’écartement local entre brides est de quelques millimètres. Dans les deux cas, il est moins comprimé dans sa gorge. Cette expertise estime que la démonstration d’étanchéité n’est pas acquise pour les Tam en service. L’avis de l’Institut inclut des recommandations sur la protection des joints contre l’effet néfaste des rayonnements en cas d’AG. Celles-ci abordent aussi les tolérances dimensionnelles dans la démonstration d’étanchéité : plus les joints sont épais, meilleur est le rem- plissage de la gorge après perte élastique. Enfin l’IRSN insiste : il faut connaître l’écartement des brides et améliorer la surveillance en exploitation. « Le cas échéant, EDF devra resserrer les tolérances dimensionnelles des joints pour assurer l’étanchéité du Tam en cas d’accident », conclut Alix de La Meslière. La prochaine démonstration d’EDF doit prendre en compte l’état d’écartement des brides des Tam, en cours de caractérisation, pour tous les réacteurs en exploitation.
1. Avis IRSN 2022-00039 du 24 février 2022.
2. Changement de formulation, de fournisseur et de géométrie.
3. Essais réalisés par les laboratoires d’expérimentation environnement et chimie (L2EC), à Cadarache (Bouches-du-Rhône), et d’expérimentations sur le comportement des équipements et de la ventilation (Lecev), à Saclay (Essonne), et les simulations par le Cetim de Nantes (pilotage L2EC et Bureau d’expertise de génie civil).
4. Proches de la limite basse des tolérances de fabrication.
3 QUESTIONS À… Benoît Omnès
Comment débute la collaboration avec l’IRSN ?
En 2018, le Laboratoire d’expérimentation environnement et chimie (L2EC) de Cadarache (Bouches-du-Rhône) mène* des caractérisations mécaniques de joints du tampon d’accès matériel (Tam). Il travaille sur une maquette, avec des joints neufs et vieillis en conditions d’accident grave (AG).
Il veut définir des lois de comportement décrivant chacun de ces états. Fin 2019, l’équipe sollicite le Cetim pour implémenter ces lois dans des simulations numériques.
Quels résultats avez-vous obtenu ?
Nous élaborons un modèle intégrant un défaut de planéité de brides à l’échelle réelle et d’autres maquettes d’essais à échelle réduite. À l’issue des essais, nous confrontons les résultats expérimentaux et numériques. Nous analysons l’impact de la déformation du joint due au vieillissement dans diverses conditions de pression et de température. Ainsi, nous parvenons à relier le taux de compression au niveau d’étanchéité. Lorsque ce taux est inférieur à 5 %, l’étanchéité est compromise.
Qu’apporte l’approche numérique ?
La modélisation intègre simultanément divers paramètres : géométrie du joint, serrages, défauts géométriques, impact de l’irradiation... Elle reproduit des conditions d’un AG et analyse les limites fonctionnelles du joint à divers stades du vieillissement. Elle étudie les phénomènes localement : les zones d’endommagement, les zones d’extrusion forte... Cet outil optimise les essais en ciblant les paramètres pertinents.
* Avec le Laboratoire de recherches et de contrôle du caoutchouc et des plastiques (LRCCP, Vitry-sur-Seine).
AILLEURS - Colis de transport : quelle étanchéité ?
À Cadarache (Bouches-du-Rhône), le Laboratoire d’expérimentation environnement et chimie (LE2C) prévoit des essais d’étanchéité des joints des colis de transport de matière radioactive. Ces joints étanchéifient leur fermeture et confinent la radioactivité. Dans les dossiers de sûreté, le fabricant prend en compte une déformation rémanente après compression (DRC) de l’ordre de 25 % pour calculer le taux de compression du joint. Or, en 2021, les essais du LE2C révèlent une DRC plus élevée dans des conditions représentatives des transports. Plus le vieillissement augmente, moins les joints retrouvent leur forme initiale. « Nos expériences portent sur leur vieillissement thermique, précise Fabienne Bot-Robin, spécialiste du vieillissement des polymères. Le rapport* publié servira pour expertiser les dossiers des fabricants. » Pour tester l’étanchéité, le LE2C et le Laboratoire de réalisation d’équipements expérimentaux (LR2E) dimensionnent les maquettes. Les essais débuteront en 2023.
* Rapport IRSN 2021-00623.
INFOGRAPHIE - Joints d’étanchéité du tampon d’accès matériel : quels sont les risques en cas d’accident ?
Le tampon d’accès matériel est une voie d’accès au bâtiment réacteur. Des joints assurent son étanchéité. Des chercheurs étudient les modifications des joints en cas d’accident grave. Zoom sur les situations où le confinement est compromis.
Article publié en juillet 2022