Médicaments radiopharmaceutiques : une production surveillée de près

La production de médicaments radiopharmaceutiques comporte plusieurs étapes réparties dans l’Hexagone. Leur fabrication et leur acheminement constituent un défi en terme de sûreté. Où sont-ils produits ? Comment sont-ils transportés ? Comment l’Institut suit-il les sites de fabrication et les transports ? Quelles recherches sont menées pour améliorer la sûreté ?

La caméra du TEM-TDM (tomographie par émission de positons-tomodensitométrie) requiert une source radioactive. - © Laurent Zylberman/Graphix-Images/Médiathèque IRSN

Les médicaments radiopharmaceutiques contiennent une certaine activité de radionucléides. Les plus fréquents sont l’iode 131, le fluor 18 et le technétium 99m. Ils sont utilisés d’une part pour réaliser des diagnostics médicaux : le rayonnement détecté par des appareils d’imagerie aide à voir le fonctionnement du corps. D’autre part, ils servent pour des traitements, car le rayonnement détruit localement des cellules cancéreuses ou malades.
La France compte deux-cent-trente-sept services de médecine nucléaire. Produits dans divers sites sur le territoire, les médicaments qu’ils utilisent font l’objet de nombreux acheminements. Dans ce dossier, Repères aborde la sûreté de la production et des transports.

Une production dispersée

Les médicaments radiopharmaceutiques doivent être utilisés rapidement, tout en limitant le risque radioactif à moyen terme. « Il s’agit de radionucléides, dont l’activité décroît rapidement. L’activité initiale doit donc être importante », explique l’experte en maîtrise des risques radiologiques et nucléaires, Siham Van Ryckeghem. Le carbone 11 perd la moitié de son activité en vingt minutes, le fluor 18 en 110. Ils doivent être employés peu de temps après leur fabrication. « Les installations de production sont généralement près des hôpitaux. Ceci explique leur répartition sur tout le territoire français et la nécessité d’un transport réactif », poursuit la spécialiste.
La production des radionucléides est diversifiée. Elle a lieu dans deux types d’installations : dans un réacteur nucléaire de recherche – bombardement d’atomes par des neutrons – ou au sein d’un accélérateur de particules de type cyclotron. « Dans ce cas, des atomes sont bombardés avec les particules accélérées pour obtenir le radionucléide “fils” désiré », détaille Célian Michel, expert en radioprotection médicale. Certains médicaments radiopharmaceutiques sont obtenus au sein même des hôpitaux, dans des laboratoires de préparation, à partir de la désintégration naturelle d’un radionucléide source. C’est le cas du technétium 99m – utilisé notamment pour la scintigraphie osseuse – obtenu à partir de son radionucléide « père », le molybdène 99.
Des risques d’exposition et de contamination existent « de la fabrication du radionucléide à son adjonction éventuelle à un vecteur », souligne l’expert. L’Institut expertise les installations de production de ces médicaments. « L’IRSN émet alors un rapport avec des recommandations techniques. Elles sont généralement reprises par l’Autorité [Autorité de sûreté nucléaire (ASN)] comme exigences vis-à-vis des exploitants », précise Siham Van Ryckeghem. Ces recommandations concernent par exemple les sécurités d’accès au local du cyclotron pendant et après l’irradiation ainsi que la limitation et la surveillance des rejets.

L’accélérateur Arronax à Nantes (Loire-Atlantique), est un cyclotron. Il délivre plusieurs types de particules – alpha, protons, deutons – employées pour la production de radio-isotopes et la recherche dans différents domaines. - © C. Huet/GIP ARRONAX
À Nantes (Loire-Atlantique), le cyclotron Arronax produit des médicaments pour des essais cliniques en médecine nucléaire. - © C. Huet/GIP ARRONAX

Maîtriser le risque incendie

Les experts sont impliqués depuis plus de dix ans dans le chantier emblématique de la sécurisation de l’usine de production de radioéléments artificiels, située à Saclay (Essonne). En 2010, il identifie un risque d’incendie non maîtrisé dans les bâtiments de ce site exploité par Cis bio international. Le risque radiologique est majeur : la tenue des installations au feu et les dispositifs de protection existants étant insuffisants.
À la suite des conclusions de l’IRSN et à la demande de l’ASN, l’industriel propose des dispositions de prévention et l’installation de systèmes d’extinction automatique. Pour évaluer la pertinence de ces modifications, une expertise est réalisée par une quinzaine de spécialistes. « Nos investigations se basent sur des échanges avec l’exploitant, à partir de questionnaires, de réunions techniques, de visites régulières, de contre-calculs éventuels, afin d’évaluer le projet de remise à niveau », ajoute Paul Ros, expert en maîtrise des risques radiologiques et nucléaires. Le projet proposé par l’industriel international et le suivi des travaux consécutifs sont évalués en 2012 et 2018 par l’IRSN. Mais « les éléments présentés nécessitent d’être complétés. Des travaux d’amélioration sont en cours. Le chantier de sécurisation se poursuit », mentionne-t-il.

Les procédures d’urgence à clarifier

En avril 2020, l’Institut est saisi à la suite d’un événement significatif survenu sur ce même site. Cis bio international signale le débordement d’une cuve d’effluents liquides contenant potentiellement un mélange de substances radioactives. « Comme ce n’était pas le premier incident de ce type, cela suggérait un problème récurrent dans l’organisation ou les procédés », se souvient Paul Ros.
Après examen du dossier, l’IRSN émet deux types de recommandations1. Les premières portent sur les dispositifs de gestion des effluents liquides. Elles préconisent l’utilisation de capteurs de niveau plus fiables et adaptés aux processus physico-chimiques se déroulant dans les cuves. Les secondes visent les facteurs organisationnels et humains. « Pendant l’incident, les premiers seuils d’alerte n’ont pas été signalés par les opérateurs. Il n’y a pas eu non plus de discussion entre les responsables de la production et un responsable sûreté. Ces défaillances montrent que les procédures d’urgence n’étaient pas claires ou pas respectées par le personnel », résume Paul Ros. Cela conduit l’industriel à compléter le projet en cours dédié à la gestion des effluents liquides de l’usine et à renforcer sa gestion des écarts.
Dans le cadre post-Fukushima, l’IRSN intervient depuis 2017 à Romans-sur-Isère, auprès de l’industriel isérois Cerca. Celui-ci fabrique des assemblages combustibles pour les réacteurs de recherche et des cibles d’irradiation, la matière première à usage médical.

Afin d’obtenir des doses individuelles, un flacon de médicament radiopharmaceutique est placé dans un automate de fractionnement. - © Laurent Vaulont/Médiathèque IRSN

L’entreposage est modifié

« Ces alliages d’uranium, conditionnés sous forme de plaques d’aluminium, sont par la suite irradiés en réacteur de recherche pour obtenir le molybdène 99 après extraction chimique. Ce procédé de fabrication des cibles médicales est un savoir-faire unique au monde. Peu automatisé, il est un défi pour l’expertise », observe Bernard Casoli, expert en sûreté nucléaire.
Après l’accident japonais, l’usine doit améliorer le comportement des installations en cas de séisme « noyau dur »2. Les casiers où sont entreposés les produits de fabrication sont des structures métalliques répondant à des exigences de sûreté strictes, notamment le maintien de leur géométrie en cas de séisme. « L’avis3 de l’IRSN consolide et valide la proposition de l’exploitant. Elle consiste à revoir la conception des entreposages des substances radioactives. Cela aboutit à la création de nouveaux casiers métalliques plus robustes et à un meilleur ancrage au sol des modèles existants », précise l’expert.
En 2017, l’IRSN s’implique dans la réévaluation périodique de sûreté de l’installation Cerca. L’expertise mobilise pendant un an le chargé d’affaires et six autres spécialistes. « Nos expertises montrent qu’un des bâtiments ne répondait pas complètement aux normes de ventilation nucléaire actuelles au regard du risque de dissémination des substances radioactives, relate Bernard Casoli. Nos échanges avec l’exploitant l’ont incité à accélérer un projet préexistant, qui prévoyait de construire un nouveau bâtiment pour le procédé de fabrication des alliages à base d’uranium. »

1. Avis IRSN 2020-00148 et 2020-00194.
2. Spectre forfaitaire extrême retenu pour la mise en place du « noyau dur ».
3. Avis IRSN 2016-00205.


INFOGRAPHIE - Produire des médicaments radiopharmaceutiques en sûreté : trois exemples de suivi des installations

Création, fonctionnement et démantèlement. Ces trois étapes dans le vie d'une installation fabriquant des médicaments radiopharmaceutiques sont suivis par l'IRSN. Quelles sont les missions pour les experts ?

© Art Presse/ABG Communication/Médiathèques IRSN/Magazine Repères

En chiffres

  • 300 000 colis

    de médicaments radiopharmaceutiques sont transportés chaque année en France. Il s’agit de produits de diagnostic et de sources pour la radiothérapie ou la curiethérapie.

  • 6 heures

    c’est le temps de demi-vie du technétium 99m – principal radio-isotope utilisé pour les radiodiagnostics. Il est produit au sein des hôpitaux à partir du molybdène 99.

  • 31 cyclotrons

    en France produisent des radionucléides pour la médecine nucléaire.


Article publié en novembre 2021