Colis de matières radioactives : quelles expertises et quels tests sont réalisés ?

La réglementation distingue plusieurs types de colis. La sûreté des plus radioactifs sont examinés par les spécialistes de l’Institut. L’expertise est réalisée par un binôme d’ingénieurs aux profils complémentaires. Un retour d’expérience est mené en cas d’accident de transport.  
Quels tests sont réalisés sur les colis ? Quels sont les obligations pour les fabricants afin d’obtenir l’autorisation d’utiliser un nouveau modèle ? Décryptage en infographie.   

Inspection de l’IRSN au cours du chargement de matières nucléaires dans un conteneur - © Arnaud Bouissou / Terra

Comment la population est-elle protégée lors du transport de matières radioactives ? Comment l’intégrité des colis est-elle assurée ? Autant de questions soulevées lors du débat public organisé le 4 juillet dernier à Rouen (Seine-Maritime) sur le transport des substances radioactives1. L’IRSN expertise la sûreté des colis les plus radioactifs. « Il faut compter six mois à un an pour un renouvellement d’agrément et jusqu’à cinq ans pour un nouveau modèle », précise Marianne Moutarde, experte en sûreté à l’Institut. Le dossier est confié à un binôme d’ingénieurs aux profils complémentaires, car l’expertise nécessite des savoirs pluridisciplinaires. « Un ingénieur généraliste avec une formation en génie atomique peut être associé à un thermicien », détaille l’experte.

EN CHIFFRES : Le transport de matières radioactives en France

Exigences règlementaires et anticipation

L’expertise consiste à vérifier des points clés : « Comment la sûreté est-elle assurée ? La conception du colis est-elle suffisante pour garantir le confinement du contenu radioactif, la prévention de la criticité et des dommages causés par la chaleur… ? » Le niveau de protection du colis dépend du niveau de risque de son contenu. La réglementation distingue plusieurs catégories de colis (cf. infographie ci-après "des tests de surêté pour les colis de transport"). L’IRSN expertise les dossiers des colis de type B nécessaires au transport des substances les plus radioactives. En cas d’accident, celles-ci sont susceptibles, de délivrer une dose supérieure à 50 mSv à une personne située, pendant trente minutes, à un mètre de la matière non emballée. Ce seuil est défini par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). « Le colis doit être sûr pour éviter l’exposition de la population et des travailleurs en cas d’accident », déclare Marianne Moutarde. Une matière radioactive mal protégée peut provoquer « un risque d’irradiation, de propagation de particules radioactives inhalables dans l’air, voire un accident de criticité. » En vue de son agrément, les experts vérifient, les justifications fournies par le requérant, par exemple que le colis supporte des conditions accidentelles règlementaires : une chute de neuf mètres sur une cible indéformable, une immersion... (voir infographie ci-après "Des tests de sûreté pour les colis de transport"). « L’industriel doit démontrer le bon comportement du colis durant les épreuves. Il utilise les tests réalisés, par exemple de chute, ou des calculs, expose l’experte. Nous vérifions que les justifications sont complètes, valables et qu’elles prennent en compte toutes les situations, notamment à risque, rencontrées par le modèle. » Après l’expertise, un avis est produit et adressé à l’ASN.

Apprendre du retour d’expérience

Un essai de chute pour qualifier le comportement mécanique d’un colis. - © Noak/Le Bar Floréal/Médiathèque IRSN ; Photo de droite : un essai pour caractériser la combustion du bois utilisé dans les colis' - © Igor Le Bars/médiathèque IRSN.

Le dernier accident de transport en France date de 2007. Une camionnette convoyant un colis de source radioactive heurte de plein fouet un autre camion sur la route nationale 4. La collision, très violente, est suivie d’un incendie. « Le colis a bien supporté l’accident. La protection des pompiers et des autres usagers de la route a été assurée », se souvient Marianne Moutarde. « Le retour d’expérience montre que certains éléments de conception peuvent être améliorés », relate la spécialiste. En examinant des épreuves de chute suivies d’un incendie, les experts analysent le comportement du bois contenu dans le capot amortisseur des colis. L’objectif est de savoir si sa combustion entraîne une prolongation de la durée du feu au-delà de celle des épreuves règle réglementaires – trente minutes – et, le cas échéant, un endommagement des composants importants pour la sûreté. De son côté, Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire et directeur du laboratoire de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad), signale que les citoyens ne connaissent pas assez le logo du trèfle radioactif apposé sur les véhicules, ni les précautions d’usage à respecter pour ce type de transport, notamment ne pas stationner à proximité. Il affirme que les conditions d’acheminement gagneraient à être revues, en particulier lors des arrêts sur des aires d’autoroute. À plusieurs reprises, il a constaté des débits de dose élevés à proximité de véhicules de transport en stationnement, exposant les citoyens à leur insu. « Même si elles respectent les seuils réglementaires, ces valeurs sont élevées par rapport aux normes de protection. » La Criirad demande depuis plusieurs années aux autorités européennes et françaises de modifier la réglementation et d’abaisser les niveaux de radiation autorisés.

50 °C de plus pour certains joints

Les colis contenant les matières radioactives, comme celui-ci provenant d’une centrale de Tachkent (Ouzbekistan), sont transportés par avion. - © Sandor Tozser/IAEA

Le 23 octobre 2012, l’IRSN réalise un essai de feu. « Il s’agit de quantifier l’impact de la combustion du bois des capots et son incidence sur le confinement », explique Norma Verbrugghe, chargée d’évaluation du risque radiologique. Une simulation de l’épreuve de chute sur un poinçon induit une « ouverture en bas du capot, un trou en haut du capot et le décollement du bois de la tôle ». Le colis n’est pas représenté, mais la puissance thermique de son contenu est simulée grâce à un système de circulation d’huile chauffée pour reproduire les conditions normales de transport. Le capot est placé dans un bassin, au-dessus d’une quantité d’hydrocarbures suffisante pour alimenter un incendie de trente minutes à 800 °C. « À la fin de l’incendie, dans les trous du capot, nous observons des rougeoiements caractéristiques d’une combustion, décrit la spécialiste. Le bois brûle et alimente la combustion du capot jusqu’à trois jours après l’essai. Des pics à 460 °C sur sa paroi externe, côté colis, entraînent une hausse de température sur les joints, éléments sensibles du confinement ». Compte tenu de cet essai, les experts recommandent de vérifier que les joints les plus exposés résistent à 50 °C de plus que le seuil préalablement accepté, afin de garantir le confinement de la matière, même en cas de combustion du capot. Les évolutions de la réglementation concernant la sûreté des colis exigent parfois des modifications majeures pour le renouvellement des agréments, tel l’ajout de la surcoque Manon pour renforcer la protection d’anciens emballages (voir encadré ci-après).

1. Dans le cadre du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR)


INFOGRAPHIE - Des tests de sûreté pour les colis de transport

La réglementation distingue cinq types de colis. Le type de colis imposé selon les risques que présente la substance à transporter. Celles qui représentent les risques les plus importants doivent être emballées dans des colis de type B. Pour s'assurer de leur sûreté lors des transports, leur conception est expertisée par l'Institut. il rédige un avis publié sur irsn.fr.

© Art Presse/ABG Communication/Médiathèques IRSN/Magazine Repères

INFOGRAPHIE - Des épreuves pour chaque type de colis

Selon la dangerosité de leur contenu, les emballages doivent être en mesure de résister à des situations de gravité différentes. Plus le contenu est dangereux, plus les épreuves à subir sont nombreuses et sévères.


INFOGRAPHIE - Les étapes et les obligations pour le requérant

Pour obtenir l’autorisation d’utilisation d’un nouveau modèle de colis, le requérant doit suivre une procédure identique quel que soit le type d’emballage. Quelle est la méthodologie à suivre ? Quelles sont ses responsabilités ?


INFOGRAPHIE - Que devient un colis de transport après 30 minutes de feu à 800 °C ?

Les colis de transport de matières radioactives subissent une épreuve thermique avec une exposition de 30 minutes à un feu enveloppant de 800°C.


La surcoque Manon répond aux évolutions de la réglementation

La surcoque Manon - © CEA

Avec le retour d’expérience, la réglementation évolue, induisant parfois des demandes de modifications majeures lors des renouvellements d’agrément de modèles de colis anciens. C’est dans ce contexte qu’est apparue la surcoque Manon. « Elle a été conçue pour la reprise de sources usées et sans emploi, énonce Baptiste Louis, chargé de l’expertise des dossiers de sûreté des modèles de colis agréés. Trente-cinq irradiateurs de trois natures différentes utilisés pour l’étalonnage devaient être évacués. » Les fabricants de ces sources devaient les récupérer, mais les colis utilisés n’étaient plus agréés. « Les industriels imaginent alors une surcoque, un emballage autour d’un autre emballage anciennement agréé, améliorant les performances de protection mécanique et thermique », décrit l’expert. Un premier concept apparaît en 2007, mais il est retoqué en raison « de sa complexité et des incertitudes pesant sur les démonstrations de sûreté relatives au comportement thermique ». Un nouveau modèle est proposé, la surcoque Manon, agréé le 24 mars 2015. « Chacune de ses demi-coques est composée, d’une part, de mousse jouant le rôle d’amortisseur en cas de choc et, d’autre part, d’ouvertures découpées dans des tôles en acier, favorisant l’évacuation de la chaleur dans les conditions normales de transport, et limitant la convection thermique près des irradiateurs en cas d’incendie. » Lors de l’expertise de la demande d’agrément, aucune insuffisance rédhibitoire n’est décelée, mais des faiblesses dans les calculs thermiques et la résistance des vis de fixation sont relevées. Les experts émettent plusieurs recommandations, comme la réalisation d’un essai de feu en conditions réelles.


Suède : certains trajets sont publiés sur Internet

© SKB

« Des quantités importantes de matières radioactives sont transportées en Suède uniquement par mer à bord du navire M/S Sigrid­ », assure Eva Gimholtz, responsable du transport à l’autorité suédoise de radioprotection (SSM). Le navire se déplace entre les centrales nucléaires et les sites de stockage du combustible irradié. Toutes ces usines disposent de leur propre port. « Le public peut suivre les déplacements du navire en temps réel sur internet1 ».­ Certaines données restent toutefois classées confidentielles pour préserver la sécurité des transports des matières les plus radioactives. Les informations accessibles au public résultent d’un dialogue entre les acteurs du secteur : l’industriel, la SSM, le Conseil suédois pour les déchets nucléaires, le conseil consultatif scientifique du gouvernement, les universitaires et le mouvement environnemental.

1. https://www.marinetraffic.com



Article publié en avril 2020